lundi 16 décembre 2013

"Engel" - Sehnsucht

Wer zu Lebzeit gut auf Erden
Wird nach dem Tod ein Engel werden
Den Blick gen Himmel fragst du dann
Warum man sie nicht sehen kann

Erst wenn die Wolken schlafen gehen
Kann man uns am Himmel sehn
Wir haben Angst und sind allein

Gott weiss ich will kein Engel sein

Sie leben hinterm Sonnenschein
Getrennt von uns unendlich weit
Sie müssen sich an Sterne krallen
Ganz fest
Damit sie nicht vom Himmel fallen

Erst wenn die Wolken schlafen gehen
Kann man uns am Himmel sehn
Wir haben Angst und sind allein

Gott weiss ich will kein Engel sein
Gott weiss ich will kein Engel sein
Gott weiss ich will kein Engel sein

Erst wenn die Wolken shlafen gehen
Kann man uns am Himmel sehn
Wir haben Angst und sind allein

Gott weiss ich will kein Engel sein (X5)



Je fais ici quelques remarques sur « Engel » : il n'est pas question de trouver un sens multiple ou caché à ce texte, il n'y en a pas.

Pour commencer nous pouvons remarquer que Lindemann prend à la fois une image très commune, toutefois il ne l'utilise pas dans le sens attendu. En effet, à la lecture du titre nous avons tendance à imaginer que la chanson rend hommage à un être, qui a apporté la paix intérieure au narrateur. Toutefois le sujet du texte est tout autre.

Les paroles sont constituées autour d'un dialogue entre le narrateur et les anges. Le texte débute sur un constat du narrateur, « Celui qui, de son vivant, est bon sur la Terre / Deviendra un ange après la mort ». La religion promet à celui qui vit en dehors du pécher une vie meilleure après la mort. Mais cette promesse est immédiatement remise en question, « Le regard tourné ver le ciel, tu te demandes alors / Pourquoi on ne peut les voir ». La voix des anges arrive alors à nos oreille et nous révèle leur souffrance : « Lorsque les nuages se couchent / On peut nous voir dans le ciel / Nous avons peur et sommes seuls ». Le paradis promis n'existe pas, les anges sont des êtres abandonnés dans le néant, sans avenir, sans espoir.

Le second couplet est une description de la solitude et du mal être des créatures célestes. « Ils vivent derrière les rayons du soleil / Séparés de nous, infiniment loin / Ils doivent s'agripper aux étoiles / Très fortement / Pour ne pas tomber du ciel » : leur existence est dans la froideur, la solitude et un combat permanent pour rester dans les cieux, ne pas tomber dans l'oublie et dans le néant. La description de la vie des anges est à l'image de l'existence humaine, la vie dans l'au-delà n'est pas un idéal, les souffrances restent les mêmes.

Le narrateur, ayant entendu les pleurs des anges crie alors : « Dieu sais que ne ne veux pas être un ange ». Cette simple affirmation signifie qu'après avoir reçu le message des anges, le narrateur ne croit pas à la vie éternelle, ni au paradis, alors peu importe d'être bon ou de vivre dans le pécher. Cette phrase peut alors vouloir dire « je ne veux pas être sage, je ne veux pas qu'on m'impose de règles ».

Ce texte peut être lu comme l'expression d'un nihilisme total, le narrateur refuse qu'on lui impose une morale, une vision manichéenne du monde, et par extension affirme que Dieu n'existe pas. De ce point de vue, la phrase leitmotiv de la chanson, « Dieu sais que ne ne veux pas être un ange », prend un sens ironique, le narrateur s'adresse à un être dont il nie l'existence.


On remarque que « Engel », texte tout en sobriété, contient un message fort : Rammstein affirme une volonté d'existence sans limite, se dégage de toutes les croyances imposées par l'éducation et les traditions. Le rejet de la morale devient alors l'affirmation d'un carpe diem (il faut profiter de cette existence ci car rien ne nous attend après, ni paradis, ni enfer), et d'une liberté totale. On remarque d'ailleurs que les références religieuses, présentes dans les albums Herzleid et Sehnsucht, disparaissent dans les opus suivants, et lorsqu'elle seront présente, elles seront empruntes d'une ironie exacerbée. 

lundi 9 décembre 2013

"Ein Lied" - Rosenrot

Wer Gutes tut dem wird vergeben
So seid recht gut auf allen Wegen
Dann bekommt ihr bald Besuch
Wir kommen mit dem Liederbuch

Wir sind für die Musik geboren
Wir sind die Diener eurer Ohren
Immer wenn ihr traurig seid
Spielen wir für euch

Wenn ihr ohne Sünde lebt
Einander brav das Händchen gebt
Wenn ihr nicht zur Sonne schielt
Wird für euch ein Lied gespielt

Wir sind die Diener eurer Ohren
Wir sind für die Musik geboren
Immer wenn ihr traurig seid
Spielen wir für euch

Wenn ihr nicht schlafen könnt
Sei euch ein Lied vergönnt
Und der Himmel bricht
Ein Lied fällt weich vom Himmelslicht

Wir sind für die Musik geboren
Wir sind die Diener eurer Ohren
Immer wenn ihr traurig seid
Spielen wir für euch

Wir sind für die Musik geboren
Wir sind die Diener eurer Ohren
Immer wenn ihr traurig seid
Spielen wir für euch




C'est à travers cette chanson que Rammstein s'adresse pour la première fois de manière directe à ses auditeurs : « Nous » (les membres du groupes) s'adressent à « Vous » (le public). Le groupe s'adressera à nouveau directement à ses admirateurs à travers « Rammlied », les deux textes ayant une parenté assumée, rien qu'à travers la lecture des titres : « Lied » (chanson). Le traitement de la thématique est elle aussi commune, puisque Lindemann va à la fois exprimer le dévouement du groupe pour ses auditeurs, tout en laissant un goût amer et presque ironique, alliance témoignant d'une véritable sincérité et d'une capacité d'analyse.

Ce qui me semble à prendre, dans un premier temps, au premier degré, et qui est touchant de sincérité, ces sont d'abord les mots du refrain : « Nous sommes nés pour la musique / Nous sommes les serviteurs de vos oreilles / Chaque fois que vous êtes tristes / Nous jouons pour vous ». Rammstein n'a de cesse d'exprimer dans un premier temps son amour pour la musique, ils ont été créé pour cela, c'est leur but, leur destin. Et à travers la musique, leur vocation est de panser les plaies intérieures, à la fois les leurs mais aussi celles des auditeurs. Cette chanson, on le comprend dès le titre, est alors un éloge de la musique, car elle est capable de guérir les blessures à la fois de ceux qui la jouent et de ceux qui l'écoute : « Quand vous ne pouvez pas dormir / Une chanson vous sera offerte / Et quand le ciel se brise / Une chanson tombe doucement de la lumière du ciel ». On trouve dans ce couplet le double aspect bénéfique de la musique : qui guérie ceux qui l'écoutent, nous pouvons ici souligner que la première moitié de ce couplet fait référence à l'enfance, puisque qu'on chante pour bercer ceux qui ne parviennent pas à s'endormir ; musique qui naît également du mal et des angoisses profonde, l'image du ciel qui se déchire est à l'image du cœur qui saigne, et de ce mal va naître une chose belle et bénéfique. Lindemann définit ici la musique comme une véritable fleur du Mal.

Lorsque j'ai fait l'analyse de « Rammlied » j'ai fait une faute de frappe en intervertissant les deux voyelles du mot « lied ». On remarque alors ici qu'en allemand les termes « chanson » et « mal » sont très proche, puisque « leid » se traduit « mal ». Ce lapsus que j'ai fait semble assez révélateur et prend un sens intéressant à la lecture de ce texte, dans lequel Rammstein souligne se lien étroit entre la musique qui naît du mal et qui en est à la fois le remède. On pourra d'ailleurs faire le même genre de remarques concernant « Rammlied ».

Il faut maintenant remarquer le champ lexical prédominant dans ce texte, il s'agit d'un vocabulaire religieux (« pardon », « serviteurs, « péché ») et plus précisément celui du « bien » (« bons », « sagement »). Le message des deux premiers couplets est clair, il faut être bon pour avoir droit à une chanson : « Qui fait le bien sera pardonné / Ainsi soyez bons comme il faut sur tous les chemins/ […] / Si vous vivez sans péché / Donnez sagement votre petite main les unes aux autres / Si vous ne lorgnez pas vers le soleil / Une chanson sera jouée pour vous ». Ces paroles font explicitement écho à la religion, il faut être un bon chrétien, renoncer au péché, ne pas céder à la tentation afin de pouvoir accéder au royaume de Dieu.

Ça y est, le mot est écrit. Dieu.
Dieux.
Oui, dans cette chanson ce sont bien nos six musiciens qui tiennent le rôle de la divinité. Ce sont eux qui ont le pouvoir de nous récompenser ou non par une chanson.

On touche alors ici l'aspect ironique et paradoxal du texte : les membres de Rammstein sont sincèrement heureux de composer et jouer, que leurs chansons trouvent un écho chez leurs admirateurs, d'avoir un lien si particulier avec eux. Mais voilà, arrive le revers de la médaille : ce qui devait être une relation égale et mutuelle s'est transformée en une relation d'admiration dans laquelle le groupe se trouve sur un piédestal dont il ne veut pas.

Nous comprenons alors que tout le champ lexical du bien est chargé d'ironie, parce qu'il prend le contre pied de toutes les thématiques du groupe, et plus particulièrement de Rosenrot. En effet, cet album présente des narrations dans lesquelles les personnages ne sont pas sages et se laissent aller à leurs pulsions.

Lindemann fait ici preuve d'une capacité analytique exceptionnelle. En effet, il ne se contente pas de se plaindre de ce statut de divinité, mais il est capable d'en jouer. Cette chanson dit aux admirateurs : « vous souhaitez faire de nous des dieux, alors nous allons être vos dieux ! ». La finesse avec laquelle il a écrit ce texte montre à quel point le groupe prend du recul sur ce qu'il est. C'est sans doute ça qui fait leur valeur : s'ils jouent de leur statut, ils semblent aussi savoir où est leur place, et ont conscience qu'il ne sont rien de plus que de simples êtres humains, tout comme cette foule qui les acclame.

« Ein Lied » est bien la chanson d'un véritable paradoxe : elle fait l'éloge de l'acte de création, rend hommage aux fans, toutefois elle décrit aussi les aspects négatifs de la notoriété du groupe et cette déification qui creuse un véritable gouffre entre eux et leurs fans. Ce qui unie, la musique et les textes, finie par éloigner. C'est pour cela que cette chanson est véritablement touchante : Rammstein se met à nu et fait preuve de sincérité envers son public. On retrouvera ce paradoxe dans « Rammlied », texte dans lequel les mêmes thématiques, seront abordées. Les deux chansons se font alors véritablement écho : alors que « Ein Lied » conclu Rosenrot, « Rammlied » ouvrira Liebe ist für alle da.




vendredi 6 décembre 2013

"Amour" - Reise, reise

Die Liebe ist ein wildes Tier
Sie atmet dich sie sucht nach dir
Nistet auf gebrochenen Herzen
Geht auf Jagt bei Kuss und Kerzen
Saugt sich fest an deinen Lippen
Gräbt sich Gänge durch die Rippen
Lässt sich fallen weich wie Schnee
Erst wird es heiß dann kalt am Ende tut es weh

Amour Amour
Alle wollen nur dich zähmen
Amour Amour am Ende
Gefangen zwischen deinen Zähnen

Die Liebe ist ein wildes Tier
Sie beißt und kratzt und tritt nach mir
Hält mich mit tausend Armen fest
Zerrt mich in ihr Liebesnest
Frisst mich auf mit Haut und Haar
Und würgt mich wieder aus nach Tag und Jahr
Lässt sich fallen weich wie Schnee
Erst wird es heiß dann kalt am Ende tut es weh

Amour Amour
Alle wollen nur dich zähmen
Amour Amour am Ende
Gefangen zwischen deinen Zähnen

Die Liebe ist ein wildes Tier
Sie atmet dich sie sucht nach dir
Nistet auf gebrochenen Herzen
Geht auf Jagt bei Kuss und Kerzen
Frisst mich auf mit Haut und Haar
Und würgt mich wieder aus nach Tag und Jahr
Lässt sich fallen weich wie Schnee
Erst wird es heiß dann kalt am Ende tut es weh

Amour Amour
Alle wollen nur dich zähmen
Amour Amour am Ende
Gefangen zwischen deinen Zähnen

Die Liebe ist ein wildes Tier
In die Falle gehst du ihr
In die Augen starrt sie dir
Verzaubert wenn ihr Blick dich trifft

Die Liebe ist ein wildes Tier
In die Falle gehst du ihr
In die Augen starrt sie dir
Verzaubert wenn ihr Blick dich trifft

Bitte bitte gib mir Gift
Bitte bitte gib mir Gift
Bitte bitte gib mir Gift
Bitte bitte gib mir Gift



Avec ce texte Lindemann aborde l'un de ses sujets de prédilection : l'amour et les peines qu'il nous cause. Toutefois, il ne se contente pas de décrire une énième peine de cœur, mais il semble avoir gagné une certaine maturité. En effet, l'Amour est personnifié sous les traits d'un « bête sauvage ». Cette capacité à la métaphore est la preuve d'une véritable maturité dans l'écriture et d'un recul prit par rapport au vécu et aux sentiments éprouvés.

Est présente ici une image chère à Lindemann, l'assimilation des sentiments et de la relation amoureuse à l'idée de traque. Toutefois, ce n'est pas la narration d'une séduction (comme c'est le cas dans « Du riechst so gut » ou « Waidmanns Heil »), mais la description de la manière dont on s'éprend. Nous, auditeurs, et narrateur, sommes la proie de l'Amour qui « Part en chasse autour de baisers et de bougies » et que nous voulons absolument « dompter ». Malheureusement, nous finissons « capturés entre [ses] dents ».

Cette « bête sauvage » sait se faire douce et agréable pour mieux nous toucher puisqu'elle « Dépose des baisers comme des ventouses sur tes lèvres / Creuse des couloirs à travers tes côtes / Se laisse tomber douce comme la neige / D'abord, ça devient brûlant, puis froid, à la fin ça fait mal ». C'est avec beaucoup de justesse que Lindemann décrit l'évolution du sentiment qui laisse d'abord une douce sensation mais qui fini par nous blesser parce qu'il s'immisce dans tout notre être, toute notre âme. Les deux premiers couplets témoignent de cette évolution : le vocabulaire du premier couplet évoque des choses agréables, les « baisers », les « bougies » même si on ressent un certain malaise (« cœur brisé »), la « bête » se contente de « te [respirer], te [poursuivre] ». Dans un deuxième temps, l'Amour se fait violent et torture le narrateur : « Elle mord, me griffe et me donne des cours de pieds / Me tient avec mille bras / Me traîne dans son nid d'amour / Me bouffe corps et âme / Me vomit après un jour ou une année ». On reconnaît ici l'aspect viscéral de l'écriture de Lindemann qui va jusqu'à décrire la digestion de cette bête, qui nous rabaisse plus bas que terre, nous réduit à de la simple nourriture.

La métaphore qui assimile l'amour à une « bête sauvage » est présente jusque dans les sonorités du texte avec des allitérations en R (que Lindemann fait particulièrement bien ressortir dans son chant) qui laissent entendre la respiration et le grognement de la créature en chasse. Ces sonorités se font d'ailleurs trainantes et réalistes sur le fin de chaque vers : « Tier », « nach dir », « Herzen », « Kerzen », « Amour », « nach mir », « Haar », « Jahr », etc.

« Amour » est une chanson au texte très riche. En plus de cette description, à la fois juste et imagée, de ce qui constitue la plus grande partie des vies humaines, le texte propose un jeu de miroir entre les pronoms « je » et « tu ». Au cours du premier couplet c'est le « tu » qui est à l'honneur, le narrateur s'adresse directement à l'auditeur, l'incluant explicitement dans son discours, rappelant ainsi qu'il décrit un sort commun à toute l'Humanité. Dans le second couplet le narrateur s'exprime à la première personne exprimant ainsi les douleurs profondes que cause l'amour dans nos cœurs et nos âmes. Ce glissement entre les deux couplets représente les deux personnes qui s'aiment et se rapprochent. Le troisième couplet, mélange entre les deux premier (alterne donc le « tu » puis le « je ») est sans doute l'image de l'union, l'entremêlement des deux êtres, jusqu'au déchirement final, puisque la phrase finale, répétée à quatre reprises, est un véritable appel à l'aide : « S'il te plaît, s'il te plaît, donne-moi du poison ». Ainsi nous sommes les proies, les prisonniers de l'Amour et la seule délivrance possible face aux souffrances de cet enlèvement et de ces tortures est la mort.

Marqué par les grandes thématiques chères à Lindemann, Sentiments – Violence, « Amour » est bien le texte de la maturité. La mise à distances des Peines de cœurs dans la capacité à les métaphoriser, et une maîtrise de l'écriture poétique dans ce qu'elle a de plus complet (les images produites et la composition même du texte) font de ce texte un des plus aboutis (selon moi) de Rammstein. 

vendredi 29 novembre 2013

"Wo bist du ?" - Rosenrot


Ich liebe dich
Ich liebe dich nicht
Ich liebe dich nicht mehr
Ich liebe dich nicht mehr
Ich liebe dich nicht mehr oder weniger als du
Als du mich geliebt hast
Als du mich noch geliebt hast

Die schönen Mädchen sind nicht schön
Die warmen Hände sind so kalt
Alle Uhren bleiben stehen
Lachen ist nicht mehr gesund und bald

Such ich dich, hinter dem Licht
Wo bist du, wo bist du ?
So allein, will ich nicht sein
Wo bist du, wo bist du ?

Die schönen Mädchen sind nicht schön
Die warmen Hände sind so kalt
Alle Uhren bleiben stehen
Lachen ist nicht mehr gesund und balt

Die schönen Mädchen sind nicht schön
Die warmen Hände sind so kalt
Alle Uhren bleiben stehen
Lachen ist nicht mehr gesund und balt

Ich suche dich, hinter dem Licht
Wo bist du, wo bist du?
So allein, will ich nicht sein
Wo bist du, wo bist du?
Ich such dich unter jedem Stein
Wo bist du, wo bist du?
Ich schlaf mit einem Messer ein
Wo bist du, wo bist du?



« Wo bist du ? » constitue un des textes les plus simples écrit par Lindemann pour Rammstein. Aucun sens caché a priori. Toutefois, ce texte reste riche dans la mesure où nous pouvons le comprendre à plusieurs niveaux.

D'abord, on peut considérer que le narrateur s'adresse à son amour perdu dont ils évoque l'histoire en quelques lignes : « Je t'aime / Je ne t'aime pas / Je ne t'aime plus / […] / Quand tu m'aimais / Quand tu m'aimais encore ». Depuis le départ de la femme aimée, plus rien n'a de valeur aux yeux du narrateur, le monde et froid, le temps stoppe sa course : « Les jolies filles ne sont pas belles / Les mains chaudes sont si froides / Toute les montres s'arrêtent / Le rire n'est plus bon pour la santé ». Alors, seul et triste, en proie à la solitude, dans une sorte de crise désespérée il fait tout pour retrouver l'être aimé : « Je te cherche derrière la lumière / Où es-tu, où es-tu ? / Je ne peux être aussi seul / Où es-tu, où es-tu ? ».

Ce premier niveau d'interprétation, considérer que la chanson évoque une histoire d'amour en particulier, semble un peu trop simpliste. La dimension du texte est peut-être plus profond, voir autocritique. Nous pouvons considérer que le narrateur ne s'adresse pas à une femme aimée et perdue, mais plutôt à l'Amour, en tant qu'idéal, le grand Amour... En ce sens, le premier couplet, « Je t'aime / Je ne t'aime pas / Je ne t'aime plus / […] / Je ne t'aime pas plus ni moins que toi / Quand tu m'aimais / Quand tu m'aimais encore », évoquerait avec lassitude toutes les histoires d'amour en général : le fait de s'aimer puis que le sentiment s'estompe, le fait d'aimer un être qui ne partage pas nos sentiments, ou encore le jugement qu'on porte sur les sentiments, c'est à dire est-ce que tu m'aimes autant que je t'aime...

La vie est presque ironique, elle nous promet une chose qui n'existe pas : on souffre de l'absence d'une relation idéale et cette souffrance est absurde par que l'Amour idéal n'existe pas. Le fait que le deuxième couplet se répète montre à quel point la solitude du narrateur est grande, et les questions « Où es-tu, où es-tu ? » restent sans réponse parce que rien ni personne ne peut y répondre. L'existence est alors sans saveur, et il ne reste qu'un désenchantement total : « Je m'endors avec un couteau ».

En ce sens, la chanson est porteuse d'un ton sarcastique : le narrateur est à la fois capable de ressentir la souffrance et la solitude, et en même temps il voit bien que cette souffrance est vaine, il a conscience que ce qu'il recherche n'existe pas. Cette chanson devient alors un regard que Lindemann porte sur lui-même et sur les être humains en général : comme si nous nous créons nos propres souffrance, nous nous blessons nous-même avec le couteau que nous avons sciemment introduit dans notre lit.

Une fois encore Rammstein propose un texte profond et réflexif sur ce qu'est la nature humaine, et le sens de nos souffrances intérieures. L'écriture intelligente de Lindemann donne à lire des textes dans le texte : ce n'est la simple expression d'une douleur de l'âme qui est décrite, elle est toujours associée à une pensée plus détachée, propre à une réflexion sur soi. 

lundi 25 novembre 2013

"Spring" - Rosenrot

Auf einer Brücke ziemlich hoch
Hält ein Mann die Arme auf
Da steht er nun und zögert noch
Die Menschen strömen gleich zuhauf
Auch ich lass mir das nicht entgehen
Das will ich aus der Nähe sehen
Ich stell mich in die erste Reihe
Und schreie

Der Mann will von der Brücke steigen
Die Menschen fangen an zu hassen
Bilden einen dichten Reigen
Und wollen ihn nicht nach unten lassen
So steigt er noch mal nach oben
Und der Mob fängt an zu toben
Sie wollen seine Innereien
Und schreien

Spring
Spring
Spring
Spring
Erlöse mich
Spring
Enttäusch mich nicht
Spring für mich
Spring ins Licht
Spring

Jetzt fängt der Mann zu weinen an
Heimlich schiebt sich eine Wolke
Und fragt sich - Was hab ich getan?
Vor die Sonne, es wird kalt
Ich wollte nur zur Aussicht gehen
Die Menschen laufen aus den Reihen
Und in den Abendhimmel sehen
Und sie schreien

Spring
Spring
Sie schreien
Spring
Spring
Erlöse mich
Spring
Enttäusch mich nicht
Spring für mich
Spring ins Licht
Spring

Heimlich schiebt sich eine Wolke
Vor die Sonne, es wird kalt
Doch tausend Sonnen brennen nur für dich

Ich steig mich heimlich auf die Brücke
Tret ihm von hinten in den Rücken
Erlöse ihn von dieser Schmach, ja
Und schrei ihm nach

Spring
Spring
Spring
Spring
Erlöse dich
Spring
Enttäusch mich nicht

Spring, spring für mich
Spring
Enttäusch mich nicht
Spring



« Spring » correspond à l'une de ces narrations, presque métaphoriques, qui composent Rosenrot. Expression d'un voyeurisme et d'une violence exacerbée, Lindemann choisi une double narration surprenante : le protagoniste qui parle à la première personne est d'abord spectateur de la scène puis en devient l'acteur principal, qui va impulser l'action ; la narrateur donne aussi le point de vue, les sentiments de l'homme sur le pont.

Le premier sens du texte est assez explicite et raconte l'histoire d'un homme qui « Sur un pont assez haut / […] se tient les bras lever ». Alors qu'il « voulai[t] seulement admirer la vue / Et regarder le ciel du soir », la foule interprète de manière erronée son geste et pense qu'il veut se suicider et lui crie « Saute ». Au cœur de cette foule se trouve le narrateur s'exprimant à la première personne qui va accomplir la volonté des gens autour : « Moi aussi, je ne veux pas manquer ça / Je veux voir ça de près / Je me mets au premier rang / Et crie ». De simple spectateur il va se faire porteur de la « haine » de la « populace » qui « se déchaîne ». La foule empêche l'homme de « redescendre du pont / […] / Alors il remonte une nouvelle fois », c'est alors que le narrateur se « glisse en cachette sur le pont / Lui donne un coup de pied par derrière dans le dos / Pour le délivrer de cette honte ». Le suicide rêvé par la foule se transforme en meurtre.

Toutefois, il ne s'agit pas véritablement d'un meurtre, mais d'un suicide par procuration. Le fait que Lindemann ait choisi d'avoir deux protagonistes principaux, deux narrateurs, n'est pas du au hasard : ces deux personnages semblent être l'image d'un même esprit. L'homme sur le pont devient une sorte de catharsis pour la foule et tout particulièrement pour le protagoniste s'exprimant à la première personne. Il crie : « Saut / Délivre moi / Saute / Ne me déçois pas / Saute pour moi ». Ainsi ces deux personnages peuvent être la personnification de deux volontés opposées au sein d'un même esprit : à la fois l'envie et la peur de sauter. Le désespoir et la peur de l'un, « Maintenant l'homme commence à pleurer / […] / Il se demande – qu'est-ce que j'ai fait », fait écho à la haine et au besoin de violence de l'autre, « la populace se déchaîne / Ils veulent ses tripes / Et crient ».

Au delà de ce premier sens, Rammstein décrit un certain voyeurisme dont ils sont eux-même victimes. En tant qu'artistes, ils se mettent en valeur, se montrent, comme l'homme sur le pont. Leur but n'est rien de plus que de se montrer dans la lumière (« Saute dans la lumière »). L'envie de se montrer doit faire face à l'envie de la foule, leur public, les média, de regarder. Ce regard est avide et malsain, destructeur. C'est le couplet suivant qui permet d'interpréter la chanson de cette manière : « Un nuage passe furtivement / Devant le soleil, il commence à faire froid / Et pourtant, mille soleils brillent rien que pour toi ». Le soleil peut ici représenter le besoin de créer et le besoin de reconnaissance, mais lorsqu'un nuage passe ce qui réchauffait leurs cœurs disparaît, ils doivent alors faire face à une tout autre lumière : les « milles soleils » sont les yeux du public, les projecteurs et les flash des photographes. En ce sens le « Ne me déçois pas » incarne très bien la voix du public.

De ce point de vue là, le protagoniste s'exprimant à la première personne est une personnification du public qui a des attentes particulières et qui considère que le groupe lui appartient. Face à cette pression extérieure, les membres du groupes ne peuvent rien, ils en deviennent esclave. Si la création artistique était un véritable bonheur, les conséquences de la notoriété sont douloureuses. Composer de la musique est un acte de création et paradoxalement les conséquences de cet acte créateur sont destructrices.


« Spring » est une narration – métaphore dans laquelle Rammstein avoue à demi-mot les conséquences de la notoriété : ils semblent happés par la foule, le public, au point de pouvoir en mourir. L'album Rosenrot semble au premier abord beaucoup plus froid et moins personnel (en ce qui concerne les textes), parce que Lindemann a choisi des narrations plus impersonnelles. Toutefois, ceci marque une véritable maturité dans sa production, il y a toujours au delà de ces histoires, des révélations très intimes que l'on découvre seulement en faisant un petit effort de reflexion.

"Zerstören" - Rosenrot

Ja, ja, ja
Ja, ja, ja

Meine Sachen will ich pflegen
Den Rest in Schutt und Asche legen
Zerreißen, zerschmeißen, zerdrücken, zerpflücken
Ich geh am Gartenzaun entlang
Wieder spüre ich diesen Drang

Ich muß zerstören - ja, ja, ja
Doch es darf nicht mir gehören
Ich muß zerstören - ja, ja, ja
Doch es darf nicht mir gehören
Nein

Ich nehme eure Siebensachen
Werde sie zunichte machen
Zersägen, zerlegen, nicht fragen, zerschlagen
Und jetzt die Königsdisziplin
Ein Köpfchen von der Puppe ziehen
Verletzen, zerfetzen, zersetzen

Zerstören - ja, ja, ja
Doch es darf nicht mir gehören
Ich muß zerstören - ja, ja, ja
Doch es darf nicht mir gehören
Nein

Ich würde gern etwas zerstören
Doch es darf nicht mir gehören
Ich will ein guter Junge sein
Doch das Verlangen holt mich ein

Ich muß zerstören - ja, ja, ja
Doch es darf nicht mir gehören
Ich muß zerstören - ja, ja, ja
Doch es darf nicht mir gehören
Nein

Zerreißen, zerschmeißen, zerdrücken, zerpflücken
Zerhauen, und klauen, nicht fragen, zerschlagen
Zerfetzen, verletzen, zerbrennen, dann rennen
Zersägen, zerlegen, zerbrechen, sich rächen
Ah, ja, ja, ah, ja, ja, ah

Er traf ein Mädchen das war blind
Geteiltes Leid und gleichgesinnt
Sah einen Stern vom Himmel gehen
Und wünschte sich Sie könnte sehen
Sie hat die Augen aufgemacht
Verließ ihn noch zur selben Nacht



Le narrateur de cette chanson est en proie à une véritable « pulsion » destructrice : « Il faut que je détruise ». Il a besoin pour exister de « réduire […] en cendres » / « réduire à néant » les autres et ce qui leurs appartient. Cette pulsion est beaucoup plus forte que lui comme le montre l'utilisation du verbe « devoir », et rythme son existence : « Je ressens à nouveau cette pulsion ». Cette notion de pulsion rythmant l'existence du narrateur est mise en valeur par l'énumération de verbes évoquant le destruction.

Cette énumération de verbes souligne le côté obsessionnel du personnage. On trouve une vingtaine de termes différents pour évoquer la destruction : « Déchirer, balancer, écraser, déchiqueter / […] / Scier, démonter, ne pas demander, casser / […] / Blesser, lacérer, démantibuler / […] / Déchirer, balancer, écraser, démolir / Cogner, et faucher, ne pas demander, casser / Mettre en lambeaux, décomposer, brûler, puis courir / Scier, découper, casser, se venger ». La multiplication de ces synonymes a pour but de faire ressentir la folie du narrateur, dont l'esprit est sans cesse tourné vers ce besoin de d'anéantissement.

La chanson décrit véritablement la maladie mentale, une crise névrotique qui atteint son paroxysme dans l'avant dernier couplet. J'utilise le mot «névrotique» à dessein. Le narrateur est véritablement atteint d'une névrose. Le texte donne l'impression qu'il a été bridé toute son enfance, que toute cette violence est restée contenue en lui pendant trop longtemps et que désormais cela le dépasse. Un certain nombre de mots évoquent l'enfance : « Arracher le tête des poupées » - « Je veux être un bon garçon / Pourtant l'envie me rattrape ». Cette idée de névrose est soulignée par l'aspect sexuel de se besoin de détruire : le plaisir sexuel est souligné par la répétition des « Ja » qui deviennent véritablement orgasmiques dans l'avant dernier couplet (ceci souligné par la musique).

Au delà de cette crise de folie, le dernier couplet donne à la chanson l'aspect d'un conte, presque d'une légende. Cette aspect est mis en valeur par le changement de point de vue de narration : on passe d'un point de vue interne au personnage (qui s'exprime à la première personne) à une narration externe (à la troisième personne) ; ainsi que par le changement de temps (on passe du présent au passé). L'apaisement, souligné par un changement radical dans la musique et la voix de Lindemann, évoque l'avenir du personnage qui semble avoir atteint une certaine tranquillité d'esprit. « Il rencontra une jeune fille qui était aveugle / Partageant sa souffrance et pensant de même » : le personnage connais enfin l'amour et semble ressentir une sorte de compréhension profonde et apaisante. Pour la première fois de sa vie, il va alors souhaiter le bonheur d'autrui, de cette jeune femme : « Il vit une étoile traverser le ciel / Et fit le vœu qu'elle puisse voir ». Dans une fin ironique (comme Lindemann les aime), le seul geste altruiste que le personnage accomplira dans sa vie se retournera contre lui et l'apaisement ne sera que de courte durée : « Elle a ouvert les yeux / Et l'a quitté la même nuit ». On comprend alors que ce qui aurait pu complètement guérir le personnage le fera sombré complètement dans la folie.

« Zerstören » est très représentative de l'album Rosenrot qui est presque composé comme un recueil d'histoires, des narrations décrivant à quel point le rapport à l'autre peut être toxique.

vendredi 22 novembre 2013

"Rammlied" - Liebe ist für alle da

Wer wartet mit Besonnenheit
Der wird belohnt zur rechten Zeit
Nun das Warten hat ein Ende
Leiht euer Ohr einer Legende

Ramm-Stein
Ramm-Stein

Manche führen manche folgen
Herz und Seele Hand in Hand
Vorwärts vorwärts bleibt nicht stehen
Sinn und Form bekommt Verstand

Wenn die Freude traurig macht
Keine Sterne in der Nacht
Bist du einsam und allein
Wir sind hier schalte ein

Ramm-Stein
Rammstein
Rammstein

Manche führen manche folgen
Böse Miene gutes Spiel
Fressen und gefressen werden
Wir nehmen wenig geben viel

Wenn ihr keine Antwort wisst
Richtig ist was richtig ist
Bist du traurig und allein
Wir sind zurück schalte ein

Ramm-Stein
Rammstein
Rammstein
Rammstein

Ein Weg
Ein Ziel
Ein Motiv
Rammstein
Eine Richtung
Ein Gefühl
Aus Fleisch und Blut
Ein Kollektiv

Wer wartet mit Besonnenheit
Der wird belohnt zur rechten Zeit
Nun das Warten hat ein Ende
Leiht euer Ohr einer Legende

Ramm-Stein
Rammstein
Rammstein
Rammstein



« Rammlied » ouvre l'album Liebe ist für alle da que les admirateurs du groupe ont attendu pendant quatre (longues) années. Je débute ce commentaire en évoquant les fans du groupe, parce que c'est bien d'eux dont il s'agit, c'est à eux que s'adresse Rammstein. Cette première chanson semble dire : vous nous avez attendu longtemps, nous voilà de retour, nous créons pour vous.

Lindemann exprime le fait que l'attente des admirateurs est enfin terminée, que leur patience est récompensée : « Qui attend avec sagesse / Sera récompensé en temps voulu / Maintenant, l'attente à une fin ». Le groupe produit sa musique pour leurs auditeurs, il veut faire de ses créations une lumière dans leurs cœurs : « Quand la joie rend triste / Qu'aucune étoile ne brille dans la nuit / Que tu es seul et solitaire / Nous sommes là, Allume ! ». Les membres de Rammstein n'ont eu de cesse d'évoquer les plaies de l'âme et du cœur, les difficultés à affronter l'existence parfois, les désirs humains les plus sombres, ils savent sans doute que la fidélité de leur publique vient de cette compréhension profonde et mutuelle : « Si vous n'avez aucune réponse / Est juste ce qui est juste / Si tu es triste et seul / Nous sommes de retour, allume ! »

Jeu de mot entre « Rammstein » et « chant », cette chanson exprime une double dévotion : celle de Rammstein pour son public, « Nous prenons peu, donnons beaucoup » et celle des admirateurs pour le groupe, « Prêtez l'oreille à une légende ». Lindemann utilise ici une mot fort, « légende », et il fait une jeu de mot en divisant « Ramm-Stein », « Stein » se traduisant par « pierre ». Le groupe semble avoir pleinement conscience de ce qu'il représente pour ses fans : Rammstein a pour eux le statut d'une légende, d'un véritable monument, comme une stèle, une « pierre ». Le mot « Rammstein », le leitmotiv de la chanson, résonne presque comme une prière. Ce statut presque divin est soulignée par les synonymes que Lindemann donne à « Rammstein » : « Un dessein / Un but / Un motif / Rammstein / Une direction / Une sensibilité / De chaire et de sang / Un collectif ».

Au delà d'un message adressé aux admirateurs, et d'une affirmation du groupe tel qu'il se voit et se ressent par rapport à l'amour, sans doute (n'oublions pas que cette chanson ouvre un album intitulé Liebe ist für alle da), que leurs portent les fans, Lindemann décrit le microcosme du groupe à l'image de macrocosme du monde. En effet, certaines paroles peuvent à la fois se lire comme un message adressé aux admirateurs, et une description du fonctionnement du groupe lui-même. « Certains mènent, certains suivent / cœur et âme, main dans la main / Avancez, avancez ne vous arrêtez pas / La raison prend sens et forme » - « Air méchant, bon jeu, / Dévorer et être dévoré » : ces mots, s'ils décrivent le fonctionnement du groupe qui marche « main dans la main », où sans cesse de nouveaux meneurs se définissent pour faire avancer la création artistique, ils décrivent également la marche de l'humanité qui, malgré les difficultés et les peines, va toujours en avant. Si dans le groupe chacun des membres semble successivement être dominant et dominé, il en va de même pour la communauté humain. Cette mise en perspective de Rammstein comme image du fonctionnement du monde explique ainsi le rapport si étroit, de compréhension mutuelle, qui lie le groupe à son public. Dans une sorte de jeu de miroir où le groupe se met en scène tout en s'adressant aux admirateurs en leurs renvoyant leur propre image, est une manière détournée pour Rammstein de dire à leurs fans : si vous avez besoin de nous, si nous sommes votre lumière, nous ne sommes rien sans vous.


Ainsi les membres de Rammstein veulent rendre hommage à leurs fans, et « Rammlied » résonne comme une véritable dédicace. Ce n'est pas la première fois que le groupe se décrit et exprime l'amour qu'il a pour son public. Déjà, dans « Ein Lied » (Rosenrot) et « Los » (Reise, Reise) Rammstein décrivait sa mission : « Nous sommes les serviteurs de vos oreilles / Nous sommes nés pour la musique / Chaque fois que vous êtes tristes / Nous jouons pour vous » (« Ein Lied », Rosenrot).

lundi 28 octobre 2013

"Ohne dich" - Reise, reise

Ich werde in die Tannen gehen
Dahin wo ich sie zuletzt gesehen
Doch der Abend wirft ein Tuch aufs Land
Und auf die Wege hinterm Waldesrand
Und der Wald er steht so schwarz und leer
Weh mir, oh weh
Und die Vögel singen nicht mehr

Ohne dich kann ich nicht sein
Ohne dich
Mit dir bin ich auch allein
Ohne dich
Ohne dich
Ohne dich zähl ich die Stunden
Ohne dich
Mit dir stehen die Sekunden lohnen nicht

Auf den ästen in den Gräben
Ist es nun Still und ohne Leben
Und das Atmen fällt mir ach so schwer
Weh mir, oh weh
Und die Vögel singen nicht mehr

Ohne dich kann ich nicht sein
Ohne dich
Mit dir bin ich auch allein
Ohne dich
Ohne dich
Ohne dich zähl ich die Stunden
Ohne dich
Mit dir stehen die Sekunden lohnen nicht
Ohne dich
Ohne dich

Und das Atmen fällt mir ach so schwer
Weh mir oh weh
Und die Vögel singen nicht mehr

Ohne dich kann ich nicht sein
Ohne dich
Mit dir bin ich auch allein
Ohne dich
Ohne dich
Ohne dich zähl ich die Stunden
Ohne dich
Mit dir stehen die Sekunden lohnen nicht
Ohne dich

Ohne dich
Ohne dich
Ohne dich
Ohne dich




« Ohne dich » reste une chanson incontournable du groupe, elle est très représentative des thématiques abordées par Lindemann. À la première lecture, et l'analyse du titre, nous montrent un thème des plus classiques : la fin d'une histoire d'amour, une rupture. Dans les images qu'il choisit Lindemann reste très traditionnel aussi, évoquant les poètes romantiques du XIXème siècle. Il évoque « les sentiers derrière la lisière de la forêt », « les sapins », la nature. Ce lieu est associé dans l'esprit du narrateur à la personne partie : « Je vais aller sous les sapins / Là où je l'ai vu en dernier lieu », toutefois il n'est plus aussi idyllique qu'auparavant, puisque « la forêt se dresse si noire et vide [...] Et les oiseaux ne chantent plus ». Les souvenirs associés à ce lieu, le vide que laisse la personne aimée et partie, est cause de souffrances : « Et la respiration m'est, ah ! Si difficile / Pauvre de moi, malheur ». Le manque est tel que le narrateur dit avoir perdu sa raison d'exister: « Sans toi je ne peux pas être ».

Ainsi, le sujet abordé par cette chanson et la manière de le traité est on ne peut plus traditionnel. Toutefois, Lindemann y insère avec subtilité son univers désenchanté. Si le manque de l'autre est douloureux, « Sans toi je ne peux pas être […] Sans toi je compte les heures », l'évocation de la relation passée n'est pas idéalisée. « Avec toi je suis seul aussi […] Avec toi les secondes ne valent pas la peine » : la présence de l'autre n'était donc pas idéale, et le narrateur ressentait, même en présence de la personne aimée, une grande solitude. Rammstein évoque ici la difficulté des relations amoureuses, de la vie de couple. On peut aimer à ne plus pourvoir se passer de l'autre, et en même temps, parfois, l'autre ne nous comprend pas et même lorsqu'il est là nous sommes seuls, perdus malheureux. Ces moments d'incompréhension sont tout simplement du temps perdu, du temps pour rien, les secondes deviennent des heures, « n'en valent pas la peine ».

Ainsi, si la rupture est douloureuse, Lindemann n'idéalise pas la relation amoureuse, il la décrit dans tous ces aspects. Le désenchantement est total : l'amour n'apporte que de la peine, que l'être aimé soit présent ou ailleurs.

Au delà de cette première interprétation, cette chanson prend un sens plus personnel pour Rammstein. On peut en effet considérer que le texte évoque les relations des membres du groupe entre eux. « Sans toi je ne peux pas être […] Avec toi je suis seul aussi […] Sans toi je compte les heure […] avec toi les secondes ne valent pas la peine » : Lindemann évoque le fait que les uns sans les autres les membres du groupe ne sont rien. Ils existent par leur musique, par leur art, et cet art ne peut être que lorsqu'ils sont ensembles. Les membres de Rammstein ont toujours insisté sur le fait qu'ils travaillent ensembles, dans la même direction, qu'il n'y a pas de leader. Chacun à besoin des cinq autres pour exister, en tant qu'artiste, pour exister tout court, parce que, sans doute, leur musique est leur raison d'exister. Toutefois, comme dans une histoire d'amour, les relations des membres entre eux ne sont pas idéales. Ils peuvent parfois ne pas être sur la même longueur d'ondes, ne pas avoir les mêmes attentes, se sentir incompris. Je pense qu'on peut dire que ce texte évoque à demi-mots les difficultés et les tensions que le groupe a traversé pendant la création de Mutter, sans sur-interpréter. Reise, Reise arrive après cette période difficile pour le groupe. « Ohne dich » vient mettre des mots sur les maux de cette période, et formuler le mal qui les a atteint est aussi une manière de panser la blessure.


Ce texte montre bien tout l'art de Lindemann qui propose différents niveaux de lecture. Il touche l'auditeur qui peut y voir un miroir de ses propres sentiments, puis il révèle, en dessous de la surface, un peu du groupe, un peu de Rammstein. 

jeudi 24 octobre 2013

"Bück dich" - Sehnsucht

Bück dich befehl ich dir
Wende dein Antlitz ab von mir
Dein Gesicht ist mir egal
Bück dich

Ein Zweibeiner auf allen Vieren
Ich führe ihn spazieren
Im Passgang den Flur entlang
Ich bin enttäuscht
Jetzt kommt er rückwärts mir entgegen
Honig bleibt am Strumpfband kleben
Ich bin enttäuscht total enttäuscht

Bück dich
Bück dich
Bück dich
Bück dich
Das Gesicht interessiert mich nicht

Der Zweibeiner hat sich gebückt
In ein gutes Licht gerückt
Zeig ich ihm was man machen kann
Und fang dabei zu weinen an
Der Zweifuß stammelt ein Gebet
Aus Angst weil es mir schlechter geht
Versucht sich tiefer noch zu bücken
Tränen laufen hoch den Rücken

Bück dich
Bück dich
Bück dich
Bück dich

Bück dich befehl ich dir
Wende dein Antlitz ab von mir
Dein Gesicht ist mir egal
Bück dich noch einmal

Bück dich (X5)




Chanson qui, a priori, ne présente aucun sens caché, « Bück dich » ne semble pas mériter un commentaire. Toutefois certains éléments ont un sens qui m'échappe encore. Ainsi, je propose ici un commentaire afin d'ouvrir une discussion.

Narration d'un acte sexuel, cette chanson présente sans détour une relation dominant/dominé dès le premier couplet. Le narrateur est le dominant, il s'adresse à son/sa partenaire sur le mode impératif : « Penche-toi, je te l'ordonne ». Dès le second vers on peut ressentir un certain malaise puisque le narrateur ne veut pas voir le visage de l'autre, il insiste sur cet aspect puisque la même chose est répétée successivement à deux reprises : « Et détourne ton visage de ma vue / Je me fiche de ton visage ». Comment interpréter ceci ? À la lumière de la thématique de l'album, on peut lire cet acte comme la volonté de retrouver une jouissance passée et perdue. Ainsi on retrouve dans « Büch dich » les deux sens du mot Sehnsucht, à la fois désir et mélancolie.

On remarque que pour les deux couplets centraux, le narrateur ne s'adresse plus à son/sa partenaire, mais qu'il se concentre sur la description de ce qu'il ressent. Ceci va dans le sens de l'interprétation que je viens d'évoquer, la volonté de ressentir à nouveau un plaisir sexuel éprouvé autrefois.

Les trois premiers vers de ce couplet décrivent la relation presque sadomasochiste : le narrateur veut que l'autre ne soit plus un être humain, mais un animal : « Un bipède sur ses quatre pattes / Je l'emmène faire sa promenade / À l'amble, le long du couloir ». En traitant son partenaire ainsi il veut absolument oublier l'identité, le privé d'humanité pour atteindre un plaisir personnel. Mais on sait déjà qu'il n'y parviendra pas : « Je suis déçu ».
C'est à partir de ce moment que je ne suis pas vraiment sûre de mon interprétation et qu'elle mérite d'être discutée. Cette simple phrase, « Je suis déçu » semble avoir un sens très concret, que l'on peut deviner en interprétant les deux vers suivant. « À présent il recule vers moi / Du miel reste collé à son porte-jarretelles ». D'après la description, la relation sexuelle n'a pas encore eu lieu, il s'agissait simplement des préliminaire (qui consistent à rabaisser l'autre en le traitant comme un animal). Le/la partenaire recule pour passer à l'acte (on l'imagine aisément à quatre pattes devant le narrateur). Que représente le « miel [resté] collé au porte-jarretelles » ? Il s'agit du sperme. Ainsi le « je suis déçu » répété deux fois dans ce couplet signifie que la narrateur a éjaculé avant même d'être passé à l'acte.
Ainsi le narrateur ne souhaite pas voir le visage de l'autre parce qu'il a honte.

Le troisième couplet montre la honte, et sans doute, au delà, le désespoir du narrateur qui se « met[s] à pleurer ». D'abord, le/la partenaire se tient comme il faut, « Le bipède s'est penché / S'est mis comme il faut à la lumière », et semble attendre la suite. Mais rien ne se passe concrètement car le narrateur « lui montre ce que l'on peut faire » mais est incapable de passer à l'acte, puisque pour lui tout et déjà terminé. Le narrateur est alors désespéré de ne pas maîtriser son corps et pleure. Il ressent alors le désir et la mélancolie de ne pas parvenir à faire l'amour (comme avant). « Le bipède » semble dans l'incompréhension, il s'est tourné, penché, et ne voit pas ce qui se passe, il est donc effrayé, « Il a peur, car je le sens plus mal ». Alors, pour plaire au narrateur « Il essaie de se baisser encore plus » mais rien ne se passe et « Des larmes coulent le long de son dos ».

La chanson se termine par le même couplet qu'il y a au début : cette composition circulaire traduit un éternel recommencement, comme si le problème du narrateur ne pouvait se résoudre, et à défaut de ne pouvoir penser à l'acte il ne peut que répéter « Bück dich ».

mardi 8 octobre 2013

"Sonne" - Mutter


Eins, zwei, drei, vier, fünf, sechs, sieben, acht, neun, aus

Alle warten auf das Licht
Fürchtet euch fürchtet euch nicht
Die Sonne scheint mir aus den Augen
Sie wird heut Nacht nicht untergehen
Und die Welt zählt laut bis zehn

Eins, hier kommt die Sonne
Zwei, hier kommt die Sonne
Drei, sie ist der hellste Stern von allen
Vier, hier kommt die Sonne

Die Sonne scheint mir aus den Händen
Kann verbrennen kann euch blenden
Wenn sie aus den Fäusten bricht
Legt sich heiß auf das Gesicht
Sie wird heut Nacht nicht untergehen
Und die Welt zählt laut bis zehn

Eins, hier kommt die Sonne
Zwei, hier kommt die Sonne
Drei, sie ist der hellste Stern von allen
Vier, hier kommt die Sonne
Fünf, hier kommt die Sonne
Sechs, hier kommt die Sonne
Sieben, sie ist der hellste Stern von allen
Acht, neun, hier kommt die Sonne

Die Sonne scheint mir aus den Händen
Kann verbrennen kann dich blenden
Wenn sie aus den Fäusten bricht
Legt sich heiß auf dein Gesicht
Legt sich schmerzend auf die Brust
Das Gleichgewicht wird zum Verlust
Lässt dich hart zu Boden gehen
Und die Welt zählt laut bis zehn

Eins, hier kommt die Sonne
Zwei, hier kommt die Sonne
Drei, sie ist der hellste Stern von allen
Vier, und wird nie vom Himmel fallen
Fünf, hier kommt die Sonne
Sechs, hier kommt die Sonne
Sieben, sie ist der hellste Stern von allen
Acht, neun, hier kommt die Sonne




« Sonne » est l'une des chansons de Rammstein qui possède une multitude d'interprétations, et c'est là sa force et sa beauté.

Au sens propre, Lindemann rend hommage à un boxeur, Vitali Klitschko : ainsi le décompte du début, puis pendant le refrain, est une évocation directe du match de boxe avec le « aus » (« K.-O. ») qui met fin au combat. Ainsi le « Soleil » est l'image utilisée pour évoquer la figure du boxeur, et en ce sens on peut comprendre le reste du texte dans un sens concret. « Quand il se pose sur tes poings
/ Il s'étale sur ton visage et le brûle / Il ne se couchera pas ce soir » : ici le « Soleil » évoque le puissance des coups donnés par le boxeur, qui, aussi puissant que le soleil, il ne se couchera pas, il ne perdra pas le combat « ce soir ». On remarque un progression dans le texte qui est à l'image du déroulement du combat, si d'abord le narrateur nous dit que le boxeur ne se « couchera pas », des deux combattants l'un doit renoncer : « Tu te laisses tomber lourdement au sol / Et le monde compte jusqu'à dix ».

Au delà de ce sens originel, qui est l'intention première du groupe, le texte a un sens symbolique très profond, qui n'est d'ailleurs peut-être pas intentionnel mais qui mérite d'être soulevé.

Cette chason signifie que tout le monde possède un Soleil (ainsi l'astre prend un sens métaphorique plus étendu que celui de l'image du boxeur) : un amour, une passion, une drogue, etc. Ce Soleil nous éclaire, « Alle warten auf das Licht », il est nécessaire à notre existence, pourtant dès le deuxième vers « Fürchtet euch », est présenté son aspect dangereux, on risque de se brûler.
La chanson parle de cette dernière étape où ce qui nous a fait du bien commence à nous ronger : « Die Sonne scheint mir aus den Händen / Kann verbrennen kann euch blenden / Wenn sie aus den / Fäusten bricht / Legt sich heiß auf das Gesicht ».

Au delà de cette première interprétation, je vois derrière ce texte une sorte de vision apocalyptique (dans le sens biblique du terme, mais pas seulement). Le narrateur nous dit que tout le monde compte à voix haute jusqu'à dix (« Und die Welt zählt laut bis zehn »), ainsi le Soleil de chacun devient celui de tous, et nous devons nous résoudre à la fin. « L'étoile la plus brillante » embrase l'univers et met un terme à notre monde.

Symboliquement le Soleil peut être l'astre lui même qui finira par brûler notre planète, mais c'est aussi l'image de Dieu (du Dieu chrétien qui trônera lors du jugement dernier, par exemple) qui a créé et qui détruira le monde. À vous de choisir votre interprétation. Plus largement, que l'on choisisse l'interprétation divine ou scientifique, le sens du texte est le même dans les deux cas : rappelez vous que ce que vous aimé peut finir pas vous blesser, rappelez vous que vous n'êtes rien face à une puissance plus grande (le Soleil ou Dieu). Plus généralement, je vois ce texte comme une description de la vanité humaine, du memento mori.

mardi 13 août 2013

Liebe ist für alle da - Remarques générales sur la cohérence de l'album

Les textes de Rammstein, s'ils présentent un intérêt particulier à être étudiés pour eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels ils appartiennent. C'est pour cela que je vais proposer, pour chaque album, une étude d'ensemble. Cela permet aussi de comprendre les textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière du groupe.



Liebe ist für alle da – Il y a de l'amour pour tout le monde

Quel titre étrange pour ce sixième album. Rammstein nous avait habitué des des titres courts, à chaque fois un seul mot (ou presque, mais Reise, reise peut être considéré comme un seul mot!), très symbolique et à sens multiple. Liebe ist fûr alle da semble entrer en dissonance et avoir un sens plus restreint. Pourtant cette phrase ne saurait mieux correspondre aux textes du groupe, non seulement ceux de cet album, mais également à toutes leurs autres chansons. L'amour est LE thème de Rammstein. Depuis les « peines de cœurs » du premier opus et jusqu'à ce dernier album, Lindemann a su décrire l'amour sous toutes ces formes. Ainsi, Liebe ist für alle se situe dans la lignée des œuvres précédentes, leur fait écho et a un certain goût de « point final »...

L'amour, oui, il y en a pour tous, sous toutes ses formes. Et de la violence aussi. J'ai pu faire la remarques pour chacun des autres albums, amour – violence est un couple inséparable. Ainsi chaque chanson de Liebe ist für alle da présente une narration, conte un amour total et destructeur. En ce sens, « Ich tu dir weh » est on ne peut plus emblématique de l'album, puisque le texte décrit un relation sadomasochiste. « Tu es en vie juste pour moi » dit le narrateur évoquant un amour sans limite dans lequel les deux protagoniste sont dépendants l'un de l'autre (« Tu es le navire, je suis le capitaine »). Et les sentiments s'expriment ici par la douleur, une douleur physique exprimant un désir profond : « Je te fais mal / Ça m'indiffère / Ça te fais du bien ».

Amour est douleur ne font qu'un dans cet opus. C'est ce que révèle également la lecture de « B******** » et de « Wiener blut ». La première évoque une dépendance destructrice entre les deux amants « Deux âmes dans mon giron / Une seule peut survivre / […] / Et il n'y aura pas de seconde fois ». « Wiener blut » lie « le plaisir » à « l'obscurité ». Comme si l'amour qui attachant deux êtres l'un à l'autre éloignait de l'existence et du bonheur : « Que ton existence soit sans lumière ». L'idée d'une dépendance destructrice dans la relation à l'être aimé est exacerbée dans « Führe mich » qui prend l'image de l'hermaphrodite (cf. « Zwitter ») : « Deux âmes un seul coeur ». Toutefois, comme dans « Ich tu dir weh », le bonheur de l'un dépendant de la souffrance de l'autre : « Quand tu pleures je vais bien ».

Je le redis, le bonheur de l'un dépend de la souffrance de l'autre. Ceci est un thème récurant chez Rammstein (on le trouvait dans « Feuer frei!) et il est plus particulièrement développé dans « Halt ». Dans ce texte le narrateur ne peut plus supporter les autres, l'existence des autres « êtres humains » est une véritable torture : « le pire de ces bruits / Est le battement de leurs coeurs ». Pour atteindre la bonheur, en tous cas un certain apaisement, il doit aller « chercher son fusil » pour que ces sœurs cessent de battre.

Comme dans les précédents albums, l'amour révèle ce qu'il y a de plus sombre en l'être humain, le poussant au crime. Ainsi trois textes évoquent un viol. Le premier, « Waidmanns heil » fait écho à « Du rieschst so gut », évoquant explicitement la traque d'un « gibier femelle ». Le crime du chasseur venant d'abattre sa première proie est salué par la communauté par le « Bienvenu, chasseur ». Comme si l'acte sexuel était le premier critère de jugement de la société sur l'individu. On retrouve cette même idée d'une société régie par le sexe dans « Liebe ist für alle da » : « Celui qui veut baiser / Doit être aimable » constate le narrateur qui voit bien qu' « Il y a de l'amour pour tout le monde / Mais pas pour [lui] ». Comme dans « Waidmanns heil », le narrateur se met en chasse, peu importe que la femme convoitée soit consentante ou non : « Je la retiens / Et personne ne la voit pleurer / […] / Il y a de l'amour pour tout le monde / Pour moi aussi ». Enfin, « Liese » sous un aspect pastoral décrit elle aussi un viol : « Je veux goûter un peu ta peau / La faux va être rouillée de sang / Si tu n'es pas gentille avec moi ».

Liebe ist für alle da décrit aussi un sexualité sans limite ni complexe. La jouissance, au delà de l'amour, semble le seul but à atteindre. Cette remarque et valable pour les trois textes évoqués dans le paragraphe précédent, et s'exprime pleinement dans « Pussy » puisque le narrateur dit « Je veux seulement m'amuser et pas tomber amoureux » et réclame « Juste une petite salope ». Cette vision de la jouissance comme accomplissement est également présente dans « Mehr » dans laquelle le narrateur en veut « Plus ». S'il ne précise pas l'objet de son désir, peut importe finalement, le sous entendu sexuel n'est pas implicite. D'ailleurs, la balade « Frühling in Paris » évoque avec mélancolie, non pas un amour de jeunesse, mais la perte de la virginité du narrateur dans les bras d'une prostituée. Autrement dit, il se souvient avec mélancolie des jouissances passées qu'il n'arrive pas à retrouver, référence, selon moi à « Sehnsucht », puisqu'ici Lindemann nous décrit un sentiment mêlant désir et nostalgie.

Alors finalement l'amour de Liebe ist für alle da n'est que du sexe ? Il semblerai et c'est ce qui rend cet album brutal. Pourtant l'amour, celui des sentiments, n'est pas complètement absent ici. « Roter sand » évoque le schéma romantique du triangle amoureux. Si cette référence est classique, presque naïve, elle à le mérite d'aborder les blessures du cœur. De plus, cet album ne fait pas l'apologie d'une sexualité débridée dénuée de sentiments et de toutes conséquences. Ainsi, l'épidémie et l'évocation apocalyptique de « Donaukinder » prend un sens particulier. Quelle maladie a décimé les enfants du Danube ? Et bien il pourrait s'agir du désir, du sexe, qui pervertit, qui mène l'homme à sa perte.

Enfin, et comme dans chaque album, un seul amour est positif, un seul amour n'est pas destructeur, un seul amour mène à la création : Rammstein incarne cet amour. C'est la solidarité et l'éloge d'un l'amour créateur de beau qu'évoquent « Rammleid » et « Haifisch ». La première, (comme « Ein lied ») évoquent la relation du groupe au public, « Si tu es triste et seul / Nous sommes de retour, allume ! », comme un amour idéal où chacun reçoit autant qu'il donne et où le groupe n'agit pas que pour lui-même mais pour l'autre idéal que représentent les admirateurs. « Haifisch » insiste sur le côté créatif de l'amour que ces « Six cœurs qui brulent » éprouvent les unes pour les autres. Si l'acte de création peut se révéler complexe et douloureux, il n'en que plus beau et plus grand, c'est ce que décrit ce passage: « Dans les profondeurs on est seul / Et c'est ainsi que coulent des flots de larmes / Voilà pourquoi l'eau / Dans les mers devient salée ».

Le sexe, la violence, les sentiments et la douleurs sont la vie. Oui, Rammstein parle de l'existence dans tous ces aspects et sans aucun tabou. Liebe ist für alle da revendique le droit à l'amour. Rammstein veut de l'amour pour tous, sous toutes ces formes, et c'est ce que le groupe parvient à décrire. Finalement, les textes de cet album reprennent les thèmes des opus précédents avec un certain détachement. De telle sorte que cet album résonne presque comme un testament, un point final... Liebe ist für alle da : dernier album du groupe ? Sans doute pas. « Personne ne nous arrête » (« Haifisch »), la flamme qui les maintient en vie est bien leur musique.