mardi 14 janvier 2014

"Führe mich" - Liebe ist für alle da / "Nymph()maniac" - Lars von Trier

Du bist mir ans Herz gewachsen
Wenn ich blute hast du Schmerzen
Wir müssen uns kennen
Ein Körper zwei Namen
Nichts kann uns trennen
Ein Zweileib im Samen
Wenn du weinst geht es mir gut
Die Hand deiner Angst
Füttert mein Blut

Führe mich
Halte mich
Ich fühle dich
Ich verlass dich nicht

Du bist mir ans Herz gebaut
Zwei Seelen spannen eine Haut
Und wenn ich rede bist du still
Du stirbst wenn ich es will
Wenn du weinst schenke ich dir
Kinder der Angst
Tränen von mir
Wenn du weinst schenke ich dir
Die Kinder der Angst
Tränen von mir

Führe mich
Führe mich
Halte mich
Halte mich
Führe mich
Verlass mich nicht
Ich verlass dich nicht

Zwei Bilder nur ein Rahmen
Ein Körper doch zwei Namen
Zwei Dochte eine Kerze
Zwei Seelen einem Herzen

Führe mich
Führe mich
Halte mich
Halte mich
Führe mich
Verlass mich nicht
Ich verlass dich nicht
Führe mich
Halte mich
Ich fühle dich
Ich verlass dich nicht



À la première lecture de « Führe mich » nous pouvons pensé que Lindemann a décrit un relation amoureuse passionnelle, une véritable déclaration. Toutefois, en examinant le vocabulaire et la composition textuelle de plus près, le texte décrit quelque chose de beaucoup plus toxique. Je dois avouer que cette chanson est l'une de mes préférées et que je souhaitais la commenter depuis longtemps. Je ne l'ai pas fait jusqu'à présent, parce que quelque chose m'échappais et je crois désormais avoir compris le sens du texte. Ce n'est pas une révélation soudaine ! Je suis allée voir le film de Lars Von Trier, Nymphomaniac, et je me suis demandée pourquoi « Führe mich » avait été choisie (hormis le fait que la musique colle tout à fait). J'ose croire que le choix a également été fait par rapport au texte. Après une semaine de réflexion, voici une proposition de commentaire.

Le texte est articulé autour des deux pronoms « je » et « tu », le narrateur s'exprime à la première personne et s'adresse à un autre, très proche de lui : « Tu es implanté dans mon cœur / […] / Ton cœur est attaché à moi ». Cette image de deux cœurs rattachés l'un à l'autre peut être prise au sens figuré et évoquer une relation passionnelle. Toutefois il semblerait qu'il soit plus juste de prendre cette image au sens propre. « Quand je saigne tu as mal / […] / Rien ne peux nous séparer […] / Et quand je parle tu te tais ». Les deux êtres dépendent du même corps, et cette proximité est une véritable dépendance : « Tu mourras quand je le voudrais ».

En plus de ce parallèle autour du « je » et de « toi », le texte se compose autour de l'unicité, « un » et du double, « deux ». Bon nombre de vers jouent autour de ce thème : « Un corps deux noms / […] / Deux images, juste un cadre / Un corps mais deux noms / Deux mèches, une bougie / Deux âmes un seul coeur ». Ainsi le texte montre un personnage atteint d'une psychose, une personnalité multiple. Il n'y a pas deux personnages, bien un seul, et le dialogue se constitue entre les deux personnalités : « Deux âmes sous-tendent une peau ».

Il y a une véritable subtilité de changement entre les deux personnalités soulignées par le jeux du moi et de l'autre. On notera le dédoublement de voix dans le deuxième couplet (qui n'apparait pas à l'écrit mais bien à l'écoute de la chanson) ainsi que le dialogue qui se créé dans le second et troisième refrain. Comme si la personnalité secondaire prenait le dessus sur la principale. Ce glissement entre les deux personnalités et leurs prises de paroles et aussi mis en exergue par le paradoxe entre les éléments positifs et négatifs : « Quand tu pleures je vais bien / La main de ta peur / Nourrit mon sang […] / Si tu pleurs je t'offrirai / Les enfants de la peur / Mes larmes ». Si les deux ne peuvent pas exister l'un sans l'autre, ils ont aussi des pulsion négatives et violentes, l'autre devient insupportable. On notera également le vocabulaire de la peur qui revient à plusieurs reprises. La peur est liée à l'inconnue, au fait de devoir apprivoiser l'autre qu'on ne connais pas : « Nous devons nous connaître » affirme l'un dès les premières paroles, comme un besoin indispensable à la survie.

Si le film Nymphomaniac m'a aidé à comprendre le texte ce n'est pas parce que l'héroïne, Joe, a un dédoublement de personnalité comme c'est le cas du (des) narrateur(s) dans « Führe mich ». Toutefois Joe parvient à avoir du recul sur sa propre vie, son propre comportement : à la fois elle fait son autobiographie pour montrer à quel point elle a été une « mauvaise personne » et d'un autre côté elle se justifie et montre à quel point elle est humaine. Ainsi, si Lindemann pousse (comme toujours) à l'extrême les sentiments, le comportements et la psychologie humaine, il montre quelque chose qui nous touche tous : nous sommes plusieurs nous même. Paradoxalement nous défendons notre fierté tout en étant capable de recul et de condamner nos propre actes.





samedi 11 janvier 2014

"Nebel" - Mutter

Sie stehen eng umschlungen
Ein Fleischgemisch so reich an Tagen
Wo das Meer das Land berührt
Will sie ihm die Wahrheit sagen

Doch ihre Worte frisst der Wind
Wo das Meer zu Ende ist
Hält sie zitternd seine Hand
Und hat ihn auf die Stirn geküsst

Sie trägt den Abend in der Brust
Und weiß dass sie verleben muss
Sie legt den Kopf in seinen Schoß
Und bittet einen letzten Kuss

Und dann hat er sie geküsst
Wo das Meer zu Ende ist
Ihre Lippen schwach und blass
Und seine Augen werden nass
Und dann hat er sie geküsst
Wo das Meer zu Ende ist
Ihre Lippen schwach und blass
Und seine Augen werden nass

Und dann hat er sie geküsst
Wo das Meer zu Ende ist
Ihre Lippen schwach und blass
Und seine Augen werden nass
Und dann hat er sie geküsst
Wo das Meer zu Ende ist
Ihre Lippen schwach und blass
Und seine Augen werden nass

Der letzte Kuss ist so lang her
Der letzte Kuss
Er erinnert sich nicht mehr



« Nebel » est une chanson relativement peu difficile à comprendre, toutefois le texte de Lindemann révèle, comme toujours (ou presque!), une certaine subtilité.

Il nous raconte ici l'histoire de deux êtres qui s'aiment, « Ils se tiennent étroitement enlacés / Une union charnelle de si longue date », mais qui arrivent au bout de leur histoire : « Elle veut lui dire la vérité / […] / Elle porte le crépuscule dans sa poitrine / Elle sait qu'elle doit perdre la vie ». Ainsi la femme doit mourir, c'est une scène d'adieu, les deux personnages vivent leurs derniers moments ensemble : « Et puis il l'a embrassé / Là où la mer prend fin / Ses lèvres (à elles) délicates et pâles / Et ses yeux (à lui) se mouillent ».

L'image de la plage sur laquelle se trouvent les deux protagonistes évoquent très bien l'idée de séparation, de rencontre inaccomplie : « Là où la mer prend fin », « Là où la mer effleure la terre ». Les deux éléments, la terre et la mer, se touchent mais ne se mélangent jamais, la rencontre se fait mais reste une relation avortée ou vouée à l'échec. Plus traditionnellement, cette image évoque la mort : le passage vers l'autre monde. C'est l'image du Styx que l'on doit traverser pour atteindre le monde des morts.

L'interprétation du texte est intéressante dans le fais de savoir et comprendre la relation entre les deux personnages. À la première lecture, il s'agit d'une couple : « Ils se tiennent étroitement enlacés / Une union charnelle de si longue date / […] / Et puis il l'a embrassée / […] / Ses lèvres (à elle) délicates et pâles / Et ses yeux (à lui) se mouillent ». La femme apprend à son amant qu'elle est malade (« Elle porte le crépuscule dans sa poitrine ») et qu'elle va mourir. Selon moi ceci constitue un premier niveau d'interprétation.

Le texte peut être aussi lu à la lumière du titre de l'album auquel il appartient : Mutter. En ce sens, il s'agirait d'une relation mère-fils. L' « union charnelle de si longue date », si elle évoque une relation sensuelle, peut aussi évoquer le fait que le personnage masculin est constitué à partir de la chair de sa mère. « Elle pose sa tête sur ses genoux / Et demande un dernier baiser » : les rôles parent-enfant sont ici inversés, ce n'est plus la mère qui berce sont fils et le console, mais le fils qui accompagne sa mère pour son dernier voyage. L'ambiguité de cette relation qui semble d'abord montrer des amants ne s'oppose pas véritablement à la seconde interprétation : cette ambiguité révèle en quelque sorte le complexe d'Oedipe.

L'interprétation du titre même de la chanson semble aller dans le sens d'une relation mère-fils. En effet, « Nebel » signifie brouillard, évoquant la mort, l'inconnu qu'elle représente et l'état dans lequel elle laisse les personnes qui doivent rester dans ce monde-ci. Mais « Nebel » est un anacyclique, un mot qui présente toujours un sens si on le lit à l'envers : « Nebel » devient « Leben » qui signifie vivre. Ainsi, si la mère doit mourir, le fils doit vivre. Si le corps est périssable, les parents vivent à travers leurs enfants, la chair de leur chair.

Lindemann décrit ici une épreuve difficile de l'existence, la séparation définitive et irréversible qu'est la mort, le brouillard qu'elle représente pour celui qui s'en va et qui ne sait pas ce qu'il y a après, mais également pour celui qui reste et qui vivre avec sa peine. Malgré cela, il y a l'affirmation d'une certaine immortalité : nous vivons à travers notre descendance. La mélancolie qui emprunt la chanson est à l'image de douleur, du brouillard qu'est la vie. Toutefois le constat n'est pas complètement pessimiste : « Le dernier baiser / Il ne s'en souvient plus ». On peut interpréter ces derniers vers comme l'oubli de la peine, le personnage est allé de l'avant, a continué à vivre.


Que la mort de la Mère soit réelle ou symbolique, le détachement est nécessaire pour exprimer sa personnalité propre, pour évoluer vers son état d'adulte, pour affirmer une véritable maturité. Ainsi, l'album se clôture sur la mort de la Mère : Rammstein met le point final à un cycle. Lorsque j'ai fais quelques remarques sur la cohésion de l'album, je concluais de cette manière : 
« Mutter peut être vu comme une transition dans les thématiques abordées par le groupe qui essaye de panser les blessures du cœur – Herzeleid – et du désir – Sehnsucht – en entreprenant une démarche que l'on pourrait qualifier de psychanalytique. Si on peut dire de ce troisième album qu'il est (encore et toujours) torturé, il marque un passage vers la maturité du groupe qui s'exprimera pleinement dans Reise, Reise. La réconciliation symbolique avec la Mère amènera une maturité dans la relation à l'être aimé. Cela ne veut pas dire qu'on ne trouvera plus chez Rammstein des thèmes durs, et que la relation à l'autre sera moins destructrice, mais leurs traitements, dans l'écriture, se fera manière plus « adulte ». »
Ces remarques peuvent aussi s'appliquer à « Nebel ». 

lundi 6 janvier 2014

"Asche zu Asche" - Herzeleid

Warmer Körper
Warmer Körper
Heißes Kreuz
Heißes Kreuz
Falsches Urteil
Falsches Urteil
Kaltes Grab
Kaltes Grab

Auf dem Kreuze lieg ich jetzt
Sie schlagen mir die Nägel ein
Das Feuer wäscht die Seele rein
Und übrig bleibt ein Mundvoll
Asche

Ich komm wieder
Ich komm wieder
In zehn Tagen
Ich komm wieder
Als dein Schatten
Ich komm wieder
Und werd dich jagen
Ich komm wieder

Heimlich werd ich auferstehen
Und du wirst um Gnade flehen
Dann knie ich mich in dein Gesicht
Und steck den Finger in die Asche
Asche
Asche
Asche

Asche zu Asche
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Und Staub zu Staub

Heimlich werd ich auferstehen
Und du wirst um Gnade flehen
Dann knie ich mich in dein Gesicht
Und steck den Finger in die Asche
Zu Asche
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Und Staub zu Staub
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Und Staub zu Staub
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Und Staub zu Staub
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Asche zu Asche
Und Staub zu Staub
Ich komm wieder
Zu Staub (X8)
Ich komm wieder
zu staub (X9)


Le texte de cette chanson est très représentatif du côté provocateur de Rammstein. En effet, Lindemann détourne complètement une thématique religieuse. Le texte évoque très clairement à partir du premier couplet le Nouveau Testament et le martyr du Christ, « Corps chaud / Croix brûlante / Faux jugement / Tombeau froid ». Ce n'est pas l'aspect divin de Jésus qui est mis en avant dans cette première évocation, mais bien son aspect humain, terrestre. En effet, Les adjectifs utilisés ici évoquent des sensations extrêmes et opposées, le « Corps chaud » d'abord accroché à la « Croix brûlante » puis déposé dans une « Tombeau froid ». Ces sensations désagréables (la chaleur et le feu évoquant l'enfer et le froid la mort) sont ici liées à un sentiment d'injustice, un « Faux jugement ». Référence au texte biblique, ces deux mots évoquent le procés du Christ et Pitale qui fait un « mauvais jugement » (Falsches peut à la fois être traduit par « faux » ou « mauvais ») et ne reconnais pas le fils de Dieu.

Le second couplet est plus explicite, puisque nous pouvons nous rendre compte que le narrateur de la scène est le Christ lui-même évoquant sa crucifixion : « Sur la croix je suis couché maintenant / Ils m'enfoncent les clous ». Lindemann continu à mettre l'accent non pas sur le symbole de cette scène, mais sur l'aspect concret de celle-ci. Lorsqu'il écrit « Le feu purifie l'âme », je pense qu'il évoque la douleur de ce qui est subit par le narrateur, la phrase prend pour moi le sens de « La douleur purifie l'âme ». Ceci reste dans l'évocation traditionnelle du Christ souffrant le martyr et mourant pour racheter le pécher des hommes. Alors que le Christ est entrain d'agoniser « il ne reste plus que la bouche pleine de / Cendres ». C'est à ce moment que le texte prend le contre pied du message biblique. En effet, il faut ici se demander ce que représentent ces cendres. Je pense que les cendres dans la bouche évoquent le ressentiment, la haine et le besoin de vengeance. Et cette interprétation semble être confirmer dans le couplet suivant.

L'enseignement principal du Christ et la ligne de conduite des chrétiens consiste au Pardon. Le Christ est l'image de la compassion, il considère que l'être humain et faillible, mais qu'en se repentant il est digne d'accéder au royaume de Dieu. Un bon chrétien doit faire preuve de compassion, de repentance et doit être capable de se pardonner lui-même mais surtout d'accorder le pardon aux autres (pour preuve, l'épisode de la femme adultère évoqué dans les évangiles : les femmes adultères étaient condamnées à mort par lapidation. Jésus arrive au moment où l'une de ces femmes va pour être lapidée, les hommes sont prêts à lui lancer les pierres qu'il tiennent dans les mains, et il dit : « Que celui qui n'a jamais pécher lance la première pierre ». Alors les hommes arrêtent leurs gestes : nous sommes tous des pécheurs, il faut donc être capable de se pardonner). Lindemann, dans ce troisième couplet, inverse totalement le message biblique et appelle à la vengeance : « Je reviendrai / Dans dix jours / Comme ton ombre / Et je te poursuivrai ».

La résurrection du Christ n'est pas ici l'image du personnage prenant sa forme divine, mais il s'accomplie en tant qu'être humain plein de ressentiments, incapable de compassion, ni de pardon : « Secrètement je ressusciterai / Et tu imploreras ma grâce / Alors je me mettrai à genoux sur ton visage / Et j'enfoncerai mon doigt dans la cendre ». Ici le mot « cendre » n'a plus le sens figuré qu'il avait tout à l'heure, mais un sens concret, la cendre est le résultat de ce qu'on a brulé, détruit, le résultat de la vengeance. En ce sens « De cendres en cendres / Et de poussière en poussière » signifie que la haine, la vengeance amènent à la destruction. Pour Lindemann l'humanité n'est capable que de détruire, de réduire en « cendres » et en « poussière ». Cette vision d'une humanité vaine est reprise à la Bible : « Tu nais poussière, tu redeviendra poussière ».

L'aspect provocateur de ce texte réside dans le fait que Rammstein reprend l'histoire des évangiles en inversant le sens. La Bible dit : nous sommes tous mortels, voués à la même condition, vivons dans l'amour en pardonnant « à ceux qui nous ont offensé ». Lindemann dit : nous sommes tous mortels, voués à la même condition, alors vivons nos passions jusqu'au bout, réduisons en cendres puisque nous sommes nous-même voués à cet état.


Référence directe à la religion « Asche zu Asche » exprime le rejet total de Dieu. L'expression d'une forme de nihilisme est une thématique récurante chez Rammstein, notamment dans Herzeleid et Sehnsucht, je l'avais déjà montré dans les quelques mots que j'avais écrit sur « Engel ». Une fois l'existence de Dieu niée, que reste-t-il comme « opium du peuple » ? Le groupe devient pour ses admirateurs une divinité, Rammstein, une religion à suivre (cet aspect est très bien évoqué dans « Ein Lied » et « Rammlied »).