lundi 12 mai 2014

« Seemann » - Herzeleid

Komm in mein Boot
Ein Sturm kommt auf
Und es wird Nacht

Wo willst du hin
So ganz allein
Treibst du davon

Wer hält deine Hand
Wenn es dich
Nach unten zieht

Wo willst du hin
So uferlos
Die kalte See

Komm in mein Boot
Der Herbstwind hält
Die Segel straff

Jetzt stehst du da an der Laterne
Mit Tränen im Gesicht
Das Tageslicht fällt auf die Seite
Der Herbstwind fegt die Straße leer

Jetzt stehst du da an der Laterne
Hast Tränen im Gesicht
Das Abendlicht verjagt die Schatten
Die Zeit steht still und es wird Herbst

Komm in mein Boot
Die Sehnsucht wird
Der Steuermann

Komm in mein Boot
Der beste Seemann
War doch ich

Jetzt stehst du da an der Laterne
Hast Tränen im Gesicht
Das Feuer nimmst du von der Kerze
Die Zeit steht still und es wird Herbst

Sie sprachen nur von deiner Mutter
So gnadenlos ist nur die Nacht
Am Ende bleib ich doch alleine
Die Zeit steht still
Und mir ist kalt
Kalt
Kalt
Kalt
Kalt




Poétique et mélancolique, « Seemann » marque en quelque sorte une pause dans la dureté de l'album Herzeleid. Si on trouve toujours les riffs typiques de Rammstein, la voix de Lindemann se fait plus douce. Quant au texte, il semble lui aussi, au premier abord, moins brutal. Avec une très grande agilité et une maitrise des mots, Lindemann parvient ici à révéler avec subtilité, une fois encore, la complexité des sentiments humains.

En donnant le titre « Seemann » au texte, Lindemann pose d'emblée les thématiques auxquelles l'auditeur s'attend : solitude, froid et figures féminines. (J'écris ici « figures féminines » au pluriel à dessein, nous verrons cela plus loin.)

Le marin est ici le narrateur. Il s'adresse à une jeune fille : « Viens dans mon bateau […] Où veux-tu aller / Comme ça toute seule / À la dérive ». On pourrait penser, dans ce contexte, qu'il s'adresse à une prostituée : « Et te voilà maintenant auprès du réverbère / Le visage plein de larmes / La lumière du jour décline / Le vent d'automne balaie les rues ». On imagine ici le port solitaire et froid : le marin vient d'arriver et recherche une prostitué pour combler sa solitude. Nous pouvons d'ailleurs noter que tout le texte est emprunt de sous entendus sexuels exprimant le désir du marin. Si nous les prenons dans l'ordre, le narrateur exprime d'abord le désir qui est en lui, et cette envie est si forte qu'il la compare à une « tempête », « Une tempête se lève ». Il fait même référence à l'expression physique du désir, « Le vent d'automne gonfle / Les voiles », « les voiles » étant une métaphore pour désigner son sexe. Dans un second temps, il semble vouloir la convaincre ou lui plaire, expliquant que le désir guidera ses gestes, « Le désir sera / Le timonier », et qu'il est bon amant, « Le meilleur marin / C'était bien moi ». Enfin le vers « Tu prends le feu de la bougie » pourrait être interprété comme l'accomplissement de l'acte sexuel, le feu étant métaphore du désir et la bougie celle, encore une fois, du sexe.
On notera ici la subtilité dont fait preuve Lindemann en utilisant un vocabulaire de la navigation et du monde marin pour en faire des images du désir.

S'il y a bon nombre de sous entendus sexuels, le texte est surtout emprunt de mélancolie. Les références à la nuit et à l'automne parviennent à créer une atmosphère froide et solitaire : « La nuit tombe », « La mer glacée », « Le vent d'automne », etc. On note la volonté de Lindemann d'insister sur cette atmosphère : dans le texte le mot « automne » est répété quatre fois, il y a six références à la nuit ou à la fin du jour, et on trouve l'adjectif « glacée » ainsi que le mot « froid » répété à cinq reprises à la fin du texte.

Dans cette ambiance mélancolique et froide, Lindemann insiste sur la solitude des deux protagonistes. Il insiste surtout sur la solitude de la jeune femme : « Où veux-tu aller / Comme ça toute seule / À la dérive / Qui va te tenir la main / Quand tu seras / Entraînée vers le fond / Où t'en vas-tu / La mer glacée / N'a pas de rives ». Le narrateur s'inquiète pour elle et veut montrer une attitude bienveillante ici. « Qui va te tenir la main » demande-t-il dans une attitude bienveillante, presque en opposition avec toutes les images du désir sensuel que nous avons déjà relevé.

Le dernier couplet marque une rupture : « Ils n'ont parlé que de ta mère ». Lorsque l'on écoute pour la première fois les paroles de cette chanson, ce vers nous paraît très obscure. Pourquoi le marin qui va voir une prostituée lui parle-t-il se sa mère ? Nous pouvons alors nous demander pourquoi cet homme plein de désir lubrique après des semaines passées en mer s'inquiète-t-il autant pour cette prostituée ? Ce paradoxe que nous avons souligné précédemment est une clé d'interprétation du texte. Le marin ne va pas voir une prostituée, il va voir sa fille. Voilà pourquoi l'essentiel du texte repose sur l'inquiétude du narrateur pour cette jeune femme. Voilà également pourquoi Lindemann a fait tant d'effort pour faire transparaître de ce texte une mélancolie profonde. Le père est loin de sa fille, ils se sentent seuls et abandonnés l'un si loin de l'autre.

Dans ce contexte d'interprétation, nous pouvons mieux comprendre la vers : « Ils n'ont parlé que de ta mère ». En effet, le père ayant du partir, on a confier la garde de son enfant à sa mère, comme c'est très (trop?) souvent le cas lorsque un couple se sépare. Certaines métaphores sexuelles peuvent également s'interpréter autrement. « Viens dans mon bateau / Le vent d'automne gonfle / Les voiles » : le père demande ici à sa fille de prendre pour un moment la mer avec lui, de profiter d'être ensemble et de chasser la solitude le temps d'un voyage. C'est cela que signifie le vers « La lumière du soir chasse les ombres ». Ils se sont retrouvés et pour un soir ils ne sont plus seuls. « Tu prends le feu de ma bougie » est une manière de dire qu'il lui donne toute sa chaleur, tout son amour lors de ce trop bref instant partagé. Car, le marin doit reprendre la mer, le père doit repartir et la douce chaleur du moment passé laisse place à nouveau à la mélancolie : « À la fin je reste seul / Le temps se fige / Et j'ai froid / Froid... »

Peut-être serait-il juste de dire ici que Lindemann livre dans ce texte un peu de lui-même. Pour moi, ce texte fait écho à divers poèmes de son recueil Messer dont le sujet est sa fille Nele. On sent qu'il est proche d'elle et que leur relation est fusionnelle. On sait également que Lindemann s'occupait de sa fille avant que Rammstein rencontre le succès. Il a alors du la laisser à sa mère pour partir en tournée avec le groupe, etc. Dans ce contexte l'image du marin prenant la mer pour des longues périodes peut être celle du chanteur, du musicien qui doit laisser son enfant pour partir en tourner. Dès leur premier album, les membres de Rammstein sont déjà conscient des aléas de leur métier. Ils expriment cela dans « Seemann » avec beaucoup de poésie.

Toutefois, Lindemann ne peut s'empêcher de se monter provocateur. En effet, la seconde interprétation de la chanson n'annule pas la première. Il mélange à dessein ces deux sentiments paradoxaux : lubricité et bienveillance. Les deux figures féminines qui transparaissent dans ce texte, celle de la pute et celle de la fille, si on peut les distinguer, sont pourtant bel et bien réunies ici. C'est sans doute sa manière de montrer la force avec laquelle on peut aimer son enfant, un instinct si fort qu'il en devient presque du désir. Il y a de quoi être mal à l'aise face à la manière dont est traitée la thématique de l'inceste ici. Ce thème est très présent dans les deux premiers albums de Rammstein. Dans Herzeleid, il transparait dans « Seemann » et « Laichzeit », et dans Sehnsucht il en fera deux chansons : « Tier » et « Spiel mit mir ».

Au delà de l'aspect subversif de cette chanson, Lindemann montre encore et toujours sa capacité à saisir et à retranscrire la complexité des sentiments humains. Il est ici virtuose dans la capacité à faire passer à travers une seule métaphore, une seule image, une double réalité. Au centre de l'album Herzeleid, cette musique plus douce ne présente pas un thème moins dur que les autres chansons de cet opus et exprime aussi une autre « peine de coeur ».




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