Les textes de Rammstein, s'ils présentent un intérêt particulier à être étudiés pour eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels ils appartiennent. C'est pour cela que je vais proposer, pour chaque album, une étude d'ensemble. Cela permet aussi de comprendre les textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière du groupe.
Rosenrot – Rose rouge
Les textes qui composent ce cinquième
opus du groupe ont été écrits à la même période que Reise,
reise (plus de détails ici). À l'origine il devait s'intituler
Reise, reise vol. 2, nous pouvons ainsi penser que la
cohérence générale des textes présente dans les albums précédents
ne se retrouve pas dans celui-ci. Pourtant, Rammstein a choisit un
autre titre abstrait qui prend son sens à la compréhension des
différentes chansons.
L'image de la rose rouge est bien sûr
toute symbolique et renvoie aux notion d'amour et de désir.
Symboliquement, comme dans « Rosenrot », la rose rouge
est l'image de ce que l'on cherche à obtenir à tout prix. La
« fille » de la chanson est prête à sacrifier « son
amoureux » pour obtenir la rose. Mais la quête est complexe et
le jeune homme et la rose « tombent tous deux dans le vide ».
Ainsi la rose est la métaphore de l'obsession.
Chaque extrait de Rosenrot
narre une obsession. La première de toute, chez Rammstein plus
particulièrement, est l'amour. Chacun désire être aimé, mais le
but à atteindre n'est pas aisé. « Wo bist du » fait
référence à l'idéal amoureux dont le narrateur est en quête. Il
le cherche mais ne le trouve nul part : « Les jolies
filles ne sont pas belles/ […]/
Je te cherche derrière la lumière ».
Le « Où est-tu ? » raisonne comme un appel
désespéré, comme si inconsciemment le narrateur savait que la
quête est veine. C'est cette même thématique qu'aborde « Stirn
nicht vor mir / Dont' die before I do » : les deux
narrateurs cherchent l'amour, « Je sais qu'un jour / Quelqu'un
m'aimera » dit l'un d'eux. Pourtant « Ne meurt pas avant
moi » raisonne aussi comme l'appel à l'aide qu'est « Wo
bist du ».
C'est
la même rose rouge que décrit de manière plus métaphorique
« Feuer und wasser ». Le narrateur décrit un amour
impossible. Mais plus largement la chanson semble dire que l'homme et
la femme, comme le feu et l'eau, sont si différents, « On ne
peut les lier, ils ne sont pas apparentés », que l'amour est
impossible. Nous ne pouvons atteindre la rose si ardemment désirée.
Face à
ce constat d'une impossible rencontre entre homme et femme, l'amour
homosexuel est alors vu comme un véritable idéal. Le narrateur
utilise un vocabulaire positif pour décrire son existence :
« Le destin m'a souri / Il m'a fait un cadeau » dit-il.
L'homosexualité est à la fois un idéal amoureux et sexuel, à abri
des incompréhensions entre les deux sexes. Cet idéal apparaît dans
les vers suivants : « Je suis le coin de toutes les pièces
/ L'ombre de tous les arbres / Dans ma chaine ne manque aucun
maillon », l'expression de la totalité s'oppose au manque
exprimé dans « Wo bist du », « Stirn nicht vor mir
/ Dont' die before I do » et « Feuer und wasser ».
La
rose rouge, la chose que l'on désir peut prendre des formes très
diverses selon les individus. Si « Te quiero puta ! »
est l'expression du désir sexuel à l'état brut, les envies peuvent
être autres. Dans cette album, l'image de la rose rouge est plus
particulièrement lié au feu, symbole, lui aussi, de la passion.
Ainsi « Benzin » et « Hilf mir » sont
l'expression d'un désir pyromane. « Benzin », dans
l'esprit de « Te quiero puta ! » exprime sans détour
l'envie, l'envie de détruire : « Donnez-moi de
l'essence ». « Je suis attirée par le feu » dit la
narratrice de « Hilf mir ». La jeune fille est attirée
par le feu qui est ici symbole du désir comme la « petite
rose » de « Rosenrot ». L'envie de jouer avec des
allumettes et le feu qui la brûle est en réalité l'image du désir
sexuel qui s'empare du corps de l'enfant qui devient adolescente. Et
ce désir, s'il fait mal, il la fait naître à sa vie d'adulte :
« je sors seule de la cendre ».
Le
besoin de détruire, et pas seulement pas le feu, est la rose rouge
de cet album. En effet, « Zerstören » est on ne peut
plus explicite dans le désir de détruire qui est explicitement lié
au plaisir sexuel avec les « Ja » orgasmiques de la fin
de la chanson. Pour exister il faut « détruire »
l'autre, le narrateur précise bien qu'il « ne faut pas que ça
[lui]
appartienne ». Ce désir de blesser autrui se retrouve dans
« Spring ». La foule forme un cercle autour d'un homme se
tenant « sur un pont assez haut » et l'encourage à se
suicider, à sauter, alors que ce dernier « [voulait] seulement
admirer la vue ». Alors le narrateur « lui donne un coup
de pied par derrière dans le dos » et le tue.
« Ein
lied » conclue cette album de manière symbolique. Dans cette
chanson Lindemann évoque Rammstein comme étant lui-même une rose
rouge, celle du public : « Chaque fois que vous êtes
tristes / Nous jouons pour vous ». Cette rose là, les
admirateurs du groupe peuvent l'atteindre. Rammstein rend à sa
manière hommage aux fans et s'adresse de manière directe à eux. Et
si Rammstein est la rose rouge du public, ce dernier est lui-même le
rose rouge du groupe. Le désir de créer de la musique est aussi
celui d'être écouté. Ainsi la rose rouge comme désir d'une
relation idéale est atteinte, peut être cueillie dans cette
relation si particulière entre le groupe et les oreilles/les cœurs
qui les écoutent...
A
priori, et de part l'histoire de sa création, Rosenrot
paraît être un album moins travaillé et sans aucune cohérence.
Nous avons pu voir que cela n'est absolument pas le cas. Le symbole
de la rose rouge permet d'aborder de manière peut-être plus
apaisée, voire détachée, le désir et la relation à l'autre. On y
retrouve les thématiques chères à Rammstein : amour
impossible, désir ardent, douleur des sentiments, violence physique.
Ici la présence du narrateur dans chaque texte se fait plus présente
que dans les albums précédents. Si Reise,
reise
se définit comme l'étape franchie de la maturité pour le groupe,
Rosenrot,
s'il se situe dans la continuité, marque tout de même un pas en
avant : celui d'un certain détachement émotionnel. Lindemann
rationalisera son écriture en proposant des textes plus symboliques
et imagés dans Liebe
ist für alle da.
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