jeudi 25 juillet 2013

Mutter - remarques générales sur la cohérence de l'album


Les textes de Rammstein, s'ils présentent un intérêt particulier à être étudiés pour eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels ils appartiennent. C'est pour ce la que je vais proposer, pour chaque album, une étude d'ensemble Cela permet aussi de comprendre les textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière du groupe.


Mutter - Mère
Avec ce troisième album Rammstein se tourne vers l'enfance et tente d'y trouver les origines des angoisses qui ont marqué Herzeleid et Sehnsucht. Lindemann semble avoir une écriture plus posée, plus réfléchie puisqu'il prend pour la première chanson une référence littéraire liée à l'enfance. « Mein Herz brennt » est une référence directe à « L'Homme au sable », nouvelle de Hoffmann qui détourne la figure légendaire du marchand de sable, que l'on raconte aux enfants pour qu'ils s'endorment. Le narrateur prend le point de vue de la créature, métaphore de toutes les angoisses de la nuit : « Ils viennent vers vous dans la nuit / Démons, fantôme, noires fées ». Presque comme un acte psychanalytique Rammstein entreprend avec Mutter un voyage au plus profond des âmes et des peurs.

La première peur, la première blessure de l'enfance est l'abandon, sujet de « Mutter », sixième piste, pilier de cet opus. Le narrateur se lamente de ne pas avoir eu de mère : « Aucune poitrine n'a pleuré de lait pour moi ». La répétition de « Mutter », comme un leitmotiv, sonne comme un cri de désespoir, un appel à l'aide. Car l'adulte à besoin, pour affronter l'existence, de l'enfant qui est en lui, d'un enfant apaisé et aimé par sa mère. La blessure est ouvert puisque le narrateur, adulte, crie comme un enfant : « Maman, oh donne moi la force ». L'abandon est également le thème de « Nebel » qui présente les deux protagonistes sur une plage. Les deux personnages, « Elle » et « Lui » doivent se quitter. « Elle » doit mourir (« Elle […] sait qu'elle doit perdre la vie »), et cette femme peut être la figure de la mère qui s'en va. L'enfant, même s'il est adulte, doit affronter l'abandon ultime, la mort de ses parents.

Nous arrivons à un autre traumatisme de l'enfance : la prise de conscience de la mort, thème de « Spieluhr ». La question est double : comment un enfant affronte-t-il sa propre mortalité ? Peut-on envisager la mort de l'enfance, de l'innocence ? La mort est présentée comme étant le seul remède au désenchantement de la vie dans « Adios ». Ce suicide fait référence à l'adolescent mélancolique, d'une enfance à jamais perdue, et incapable d'affronter l'existence en tant qu'adulte. Le refrain « Il n'y a rien pour toi / Il ne reste rien pour toi » représente ses voix intérieures.

Toutefois, l'adolescent n'est pas que mélancolie, il est aussi passion ardente. Au sortir de l'enfance, l'être humain explore les sensations et les sentiments dans ce qu'ils ont de plus fort, de plus violent. C'est ce que décrit « Feuer frei ! », qui évoquent à la fois colère et passion, ainsi que la confrontation à l'autre, « Ton bonheur / N'est pas le mien / Mais est ma perte ». L'adolescent veut tout, tout de suite et n'accepte pas la frustration. En ce sens « Ich will » est le cri de l'enfant/adolescent qui à soif de puissance, de pouvoir. Cette chanson est l'expression de l'égocentrisme exacerbé. La prise de conscience de l'autre et l'acceptation de la frustration est le grand apprentissage de l'enfance. Ici Rammstein fait resurgir le feu qui animait le « je » de la jeunesse.


« Links 2-3-4 » apparait dans le contexte de l'enfance comme la volonté de s'émanciper par rapport à l'éducation qui nous est donnée. Les parents, la société formate le narrateur, qui revendique une identité, une individualité : "Ils veulent remettre mon coeur dans le droit chemin / Pourtant si je regarde vers le bas / Il bat à gauche". Puis le leitmotiv "Gauche deux trois quatre" sonne comme une véritable revendication, une ligne qu'il s'est fixé : ne jamais oublier qui on est, être soi-même.

La passion ardente de la jeunesse est aussi l'approche du désir sexuel. Et le sexe est un thème majeur de cet album. Cette thématique n'est pas incompatible avec l'enfance, puisque les désirs d'adulte sont des réminiscences du vécu de l'enfant qui est en nous. L'enfant est lui-même un être sexuel, c'est ce qu'aborde « Zwitter ». L'hermaphrodite est sans sexe et s'auto-satisfait du plaisir qu'il se donne lui-même. L'enfant n'a pas conscience de l'autre, nous l'avons évoqué plus haut, et le sexe est d'abord envisagé comme un acte solitaire, par la masturbation : « Je peux me donner du plaisir chaque jour ».

La sexualité peut être vue dans cet opus sous un autre point de vue : l'enfant est le produit de l'acte sexuel. Ainsi, Lindemann décrit de manière triviale la mécanique de procréation dans « Rein, raus ». L'image des vas est vient est assez explicite, et, a priori, il n'y aurait aucun sens caché dans ce texte. Toutefois, il représente aussi l'image du père qui abandonne l'enfant, qui n'est finalement qu'un simple géniteur : « Maintenant je dois aller voir d'autres chevaux / Qui veulent aussi être montés » dit le narrateur, que l'on peut voir comme figure paternelle.

Dans ce voyage psychanalytique au cœur de l'enfance que penser de « Sonne » qui semble un peu à part des autres textes ? L'image du combat et du soleil semble dans une certaine mesure nous projeter vers l'avenir. « Le soleil brille au fond de mes yeux / Il ne se couchera pas ce soir » peut être vu comme un regard vers un futur que l'on peut affronter malgré toutes les blessures de l'enfance. L'image même du soleil peut être celle de l'adulte qui est d'autant plus fort et brillant d'avoir affronté les épreuves et les douleurs de l'enfance.

Mutter peut être vu comme une transition dans les thématiques abordées par le groupe qui essaye de panser les blessures du cœur – Herzeleid – et du désir – Sehnsucht – en entreprenant une démarche que l'on pourrait qualifier de psychanalytique. Si on peut dire de ce troisième album qu'il est (encore et toujours) torturé, il marque un passage vers la maturité du groupe qui s'exprimera pleinement dans Reise, Reise. La réconciliation symbolique avec la Mère amènera une maturité dans la relation à l'être aimé. Cela ne veut pas dire qu'on ne trouvera plus chez Rammstein des thèmes durs, et que la relation à l'autre sera moins destructrice, mais leurs traitements, dans l'écriture, se fera manière plus « adulte ». 

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