Les textes de Rammstein, s'ils
présentent un intérêt particulier à être étudiés pour
eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels
ils appartiennent. C'est pour ce la que je vais proposer, pour chaque
album, une étude d'ensemble Cela permet aussi de comprendre les
textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames
thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière
du groupe.
Mutter - Mère
Avec ce troisième album Rammstein se
tourne vers l'enfance et tente d'y trouver les origines des angoisses
qui ont marqué Herzeleid et Sehnsucht. Lindemann
semble avoir une écriture plus posée, plus réfléchie puisqu'il
prend pour la première chanson une référence littéraire liée à
l'enfance. « Mein Herz brennt » est une référence
directe à « L'Homme au sable », nouvelle de Hoffmann qui
détourne la figure légendaire du marchand de sable, que l'on
raconte aux enfants pour qu'ils s'endorment. Le narrateur prend le
point de vue de la créature, métaphore de toutes les angoisses de
la nuit : « Ils viennent vers vous dans la nuit / Démons,
fantôme, noires fées ». Presque comme un acte psychanalytique
Rammstein entreprend avec Mutter un voyage au plus profond des
âmes et des peurs.
La première peur, la première
blessure de l'enfance est l'abandon, sujet de « Mutter »,
sixième piste, pilier de cet opus. Le narrateur se lamente de ne pas
avoir eu de mère : « Aucune poitrine n'a pleuré de lait
pour moi ». La répétition de « Mutter », comme un
leitmotiv, sonne comme un cri de désespoir, un appel à l'aide. Car
l'adulte à besoin, pour affronter l'existence, de l'enfant qui est
en lui, d'un enfant apaisé et aimé par sa mère. La blessure est
ouvert puisque le narrateur, adulte, crie comme un enfant :
« Maman, oh donne moi la force ». L'abandon est également
le thème de « Nebel » qui présente les deux
protagonistes sur une plage. Les deux personnages, « Elle »
et « Lui » doivent se quitter. « Elle » doit
mourir (« Elle […] sait
qu'elle doit perdre la vie »), et cette femme peut être la
figure de la mère qui s'en va. L'enfant, même s'il est adulte, doit
affronter l'abandon ultime, la mort de ses parents.
Nous
arrivons à un autre traumatisme de l'enfance : la prise de
conscience de la mort, thème de « Spieluhr ». La
question est double : comment un enfant affronte-t-il sa propre
mortalité ? Peut-on envisager la mort de l'enfance, de
l'innocence ? La mort est présentée comme étant le seul
remède au désenchantement de la vie dans « Adios ». Ce
suicide fait référence à l'adolescent mélancolique, d'une enfance
à jamais perdue, et incapable d'affronter l'existence en tant
qu'adulte. Le refrain « Il n'y a rien pour toi / Il ne reste
rien pour toi » représente ses voix intérieures.
Toutefois,
l'adolescent n'est pas que mélancolie, il est aussi passion ardente.
Au sortir de l'enfance, l'être humain explore les sensations et les
sentiments dans ce qu'ils ont de plus fort, de plus violent. C'est ce
que décrit « Feuer frei ! », qui évoquent à la
fois colère et passion, ainsi que la confrontation à l'autre, « Ton
bonheur / N'est pas le mien / Mais est ma perte ». L'adolescent
veut tout, tout de suite et n'accepte pas la frustration. En ce sens
« Ich will » est le cri de l'enfant/adolescent qui à
soif de puissance, de pouvoir. Cette chanson est l'expression de
l'égocentrisme exacerbé. La prise de conscience de l'autre et
l'acceptation de la frustration est le grand apprentissage de
l'enfance. Ici Rammstein fait resurgir le feu qui animait le « je »
de la jeunesse.
« Links 2-3-4 » apparait
dans le contexte de l'enfance comme la volonté de s'émanciper par
rapport à l'éducation qui nous est donnée. Les parents, la société
formate le narrateur, qui revendique une identité, une individualité
: "Ils veulent remettre mon coeur dans le droit chemin /
Pourtant si je regarde vers le bas / Il bat à gauche". Puis le
leitmotiv "Gauche deux trois quatre" sonne comme une
véritable revendication, une ligne qu'il s'est fixé : ne jamais
oublier qui on est, être soi-même.
La
passion ardente de la jeunesse est aussi l'approche du désir sexuel.
Et le sexe est un thème majeur de cet album. Cette thématique n'est
pas incompatible avec l'enfance, puisque les désirs d'adulte sont
des réminiscences du vécu de l'enfant qui est en nous. L'enfant est
lui-même un être sexuel, c'est ce qu'aborde « Zwitter ».
L'hermaphrodite est sans sexe et s'auto-satisfait du plaisir qu'il se
donne lui-même. L'enfant n'a pas conscience de l'autre, nous l'avons
évoqué plus haut, et le sexe est d'abord envisagé comme un acte
solitaire, par la masturbation : « Je peux me donner du
plaisir chaque jour ».
La
sexualité peut être vue dans cet opus sous un autre point de vue :
l'enfant est le produit de l'acte sexuel. Ainsi, Lindemann décrit de
manière triviale la mécanique de procréation dans « Rein,
raus ». L'image des vas est vient est assez explicite, et, a
priori, il n'y aurait aucun sens caché dans ce texte. Toutefois, il
représente aussi l'image du père qui abandonne l'enfant, qui n'est
finalement qu'un simple géniteur : « Maintenant je dois
aller voir d'autres chevaux / Qui veulent aussi être montés »
dit le narrateur, que l'on peut voir comme figure paternelle.
Dans
ce voyage psychanalytique au cœur de l'enfance que penser de
« Sonne » qui semble un peu à part des autres textes ?
L'image du combat et du soleil semble dans une certaine mesure nous
projeter vers l'avenir. « Le soleil brille au fond de mes yeux
/ Il ne se couchera pas ce soir » peut être vu comme un regard
vers un futur que l'on peut affronter malgré toutes les blessures de
l'enfance. L'image même du soleil peut être celle de l'adulte qui
est d'autant plus fort et brillant d'avoir affronté les épreuves et
les douleurs de l'enfance.
Mutter
peut être vu comme une transition dans les thématiques abordées
par le groupe qui essaye de panser les blessures du cœur –
Herzeleid – et du désir – Sehnsucht – en entreprenant une
démarche que l'on pourrait qualifier de psychanalytique. Si on peut
dire de ce troisième album qu'il est (encore et toujours) torturé,
il marque un passage vers la maturité du groupe qui s'exprimera
pleinement dans Reise,
Reise.
La réconciliation symbolique avec la Mère amènera une maturité
dans la relation à l'être aimé. Cela ne veut pas dire qu'on ne
trouvera plus chez Rammstein des thèmes durs, et que la relation à
l'autre sera moins destructrice, mais leurs traitements, dans
l'écriture, se fera manière plus « adulte ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire